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Marseille: derrière les clichés, une ville banale?
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Marseille: derrière les clichés, une ville banale?
Marseille: derrière les clichés, une ville banale?
Jérémy Collado
mis à jour le 16.09.2015 à 14 h 14
On la croit cosmopolite, métissée, extraordinaire, mais en observant les chiffres relevés par certains sociologues, Marseille se distingue par sa... banalité. Et si la deuxième ville de France n'était en fait qu'une ville moyenne provinciale?
Jamais une ville en France n'a suscité autant de fantasmes. Jamais une ville n'a autant développé l'imaginaire de ceux qui la racontent. Jamais une ville n'a autant été «rêvée» que Marseille, dont l'image médiatique est en décalage avec la réalité de ceux qui y vivent, la décrivent ou l'étudient sérieusement.
«Marseille est l'une de ces villes frontières qui font rêver les écrivains, les cinéastes, les journalistes voyageurs, de Zola et Dumas à Giono, Cendrars, Izzo et Valabrègue pour les modernes, de Pagnol à Guédiguian, Comolli et Audiard pour les cinéastes. De ces récits s'est formé un topos légendaire, fait de lieux dont le seul nom suffit à vivifier le mythe, bien après que les héros ont disparu.»
Ainsi débute la brillante Sociologie de Marseille du sociologue Michel Peraldi, co-écrite avec l'ancien journaliste du Monde Michel Samson et la sociologue Claire Duport, en 2015, aux éditions La Découverte.
Les auteurs poursuivent, sur le même ton, quelques pages plus loin: «Marseille reste, malgré la régularité des recherches dont elle fait l'objet, une ville mystérieuse, peut être parce que ceux qui l'observent résistent encore à en voir la banalité...»
Il est dit que Marseille est une ville cosmopolite, métissée et colorée, qui brille des deux millénaires d'immigrations qui se sont succédés, du Vieux-Port jusqu'à Belsunce, de la Rose à Saint-Loup en passant par le Panier.
Mais ici, Arméniens, Comoriens, Italiens et Maghrébins y sont installés depuis trois, quatre, parfois cinq générations, intégrés comme n'importe quel Marseillais qui ne pourra jamais prétendre à être «de souche».
Ici, à Marseille, on ne croise par ailleurs que très rarement de Maliens, de Sénégalais, de Philippins ou de Thaïlandais, qui forment les bataillons de salariés employés à bas-coût en région parisienne.
Et pour cause: cela fait longtemps qu'il n'y a plus de travail, près de la Méditerranée, ou alors du moins pas pour ces couches populaires qui n'iront jamais peupler la Joliette et le quartier Euro Méditerranée, puisque la ville se transforme et veut attirer des intellectuels ou des acteurs du numérique, par exemple.
Mieux, Marseille n'est pas tant une ville de la «diversité», ou pas plus qu'ailleurs, si l'on en croit les statistiques qui nous apprennent que sur 850.000 habitants, 100.000 sont des étrangers, ce qui représente 11,7%, soit moins des 15% d'étrangers qui vivent... à Paris (Insee, 2010).
Une ville de propriétaires de classes moyennes
Marseille est insolente et contradictoire, elle ne se laisse ni enfermer dans les clichés, encore moins dicter sa conduite.
C'est une ville pleine d'ambiguïtés, et dont le reflet renvoyé dans les médias n'achève absolument pas sa complexité. Plus qu'une ville de «voyous», comme elle aime parfois à se caricaturer, dans la veine des Carbone et Spirito,
Marseille est une ville entre les mains de la «classe moyenne», qui a profité à plein de la disparition progressive des ouvriers et de la grande bourgeoisie locale, autrefois «alliés» objectifs dans la perpétuation du tissu industriel de la ville.
Cette prise de pouvoir s'incarne d'abord dans le personnel politique, qui a présidé aux destinées de Marseille après 1945: «Des trois maires que compte Marseille depuis la fin de la guerre, le premier était avocat, le deuxième médecin, le troisième enseignant», note Michel Peraldi. Defferre, Vigouroux et Gaudin ont en commun d'avoir géré la ville sans la bousculer, de l'avoir dirigée sans la transformer, en se contentant plutôt de la conserver en l'état, ce qui s'appelle, en d'autres termes, faire une politique de la classe moyenne.
Mais un chiffre est encore plus symbolique, tant il représente la main-mise de la petite bourgeoisie locale sur le marché immobilier.
Le sociologue Peraldi remarque justement que «Marseille se distingue par la grande stabilité résidentielle de ses habitants, y compris dans les zones de fragilité économique et sociale. Cette stabilité est d'ailleurs cohérente avec un autre trait distinctif et très singulier de la ville, qui est le fort taux de propriétaires occupants».
Certes, disposer d'un appartement ou, comme c'est souvent le cas à Marseille, d'une petite maison de moins de 100 m2, ce n'est pas disposer d'un patrimoine énorme, tant le marché paraît ridicule comparé aux prix pratiqués en région parisienne ou dans d'autres métropoles françaises.
Mais c'est une donnée importante pour comprendre un certain conservatisme marseillais. Pour comprendre, aussi, une partie du comportement de ses habitants.
À Marseille, ville que l'on présente comme «fracturée socialement», on remarque que les propriétaires y sont presque toujours majoritaires dans tous les quartiers de la ville, des quartiers nord aux quartiers sud.
Il n'y a que dans l'hyper-centre, royaume de Jean-Noël Guérini (est-ce un hasard?) et dans le 15e arrondissement, que les locataires sont plus nombreux que les propriétaires.
Les premières réhabilitations du centre-ville paupérisé ont pourtant déjà eu leur effet. La stratégie est claire: offrir un espace propice au business, à l'emploi, et donc augmenter inéluctablement le prix des loyers et du mètre carré. Problème: malgré les travaux, peu d'offres ont trouvé preneurs.
La preuve que le centre-ville fait figure d'exception.
http://www.slate.fr/story/106713/marseille-derriere-les-cliches
Comme quoi on peut se tromper ……
Jérémy Collado
mis à jour le 16.09.2015 à 14 h 14
On la croit cosmopolite, métissée, extraordinaire, mais en observant les chiffres relevés par certains sociologues, Marseille se distingue par sa... banalité. Et si la deuxième ville de France n'était en fait qu'une ville moyenne provinciale?
Jamais une ville en France n'a suscité autant de fantasmes. Jamais une ville n'a autant développé l'imaginaire de ceux qui la racontent. Jamais une ville n'a autant été «rêvée» que Marseille, dont l'image médiatique est en décalage avec la réalité de ceux qui y vivent, la décrivent ou l'étudient sérieusement.
«Marseille est l'une de ces villes frontières qui font rêver les écrivains, les cinéastes, les journalistes voyageurs, de Zola et Dumas à Giono, Cendrars, Izzo et Valabrègue pour les modernes, de Pagnol à Guédiguian, Comolli et Audiard pour les cinéastes. De ces récits s'est formé un topos légendaire, fait de lieux dont le seul nom suffit à vivifier le mythe, bien après que les héros ont disparu.»
Ainsi débute la brillante Sociologie de Marseille du sociologue Michel Peraldi, co-écrite avec l'ancien journaliste du Monde Michel Samson et la sociologue Claire Duport, en 2015, aux éditions La Découverte.
Les auteurs poursuivent, sur le même ton, quelques pages plus loin: «Marseille reste, malgré la régularité des recherches dont elle fait l'objet, une ville mystérieuse, peut être parce que ceux qui l'observent résistent encore à en voir la banalité...»
Il est dit que Marseille est une ville cosmopolite, métissée et colorée, qui brille des deux millénaires d'immigrations qui se sont succédés, du Vieux-Port jusqu'à Belsunce, de la Rose à Saint-Loup en passant par le Panier.
Mais ici, Arméniens, Comoriens, Italiens et Maghrébins y sont installés depuis trois, quatre, parfois cinq générations, intégrés comme n'importe quel Marseillais qui ne pourra jamais prétendre à être «de souche».
Ici, à Marseille, on ne croise par ailleurs que très rarement de Maliens, de Sénégalais, de Philippins ou de Thaïlandais, qui forment les bataillons de salariés employés à bas-coût en région parisienne.
Et pour cause: cela fait longtemps qu'il n'y a plus de travail, près de la Méditerranée, ou alors du moins pas pour ces couches populaires qui n'iront jamais peupler la Joliette et le quartier Euro Méditerranée, puisque la ville se transforme et veut attirer des intellectuels ou des acteurs du numérique, par exemple.
Mieux, Marseille n'est pas tant une ville de la «diversité», ou pas plus qu'ailleurs, si l'on en croit les statistiques qui nous apprennent que sur 850.000 habitants, 100.000 sont des étrangers, ce qui représente 11,7%, soit moins des 15% d'étrangers qui vivent... à Paris (Insee, 2010).
Une ville de propriétaires de classes moyennes
Marseille est insolente et contradictoire, elle ne se laisse ni enfermer dans les clichés, encore moins dicter sa conduite.
C'est une ville pleine d'ambiguïtés, et dont le reflet renvoyé dans les médias n'achève absolument pas sa complexité. Plus qu'une ville de «voyous», comme elle aime parfois à se caricaturer, dans la veine des Carbone et Spirito,
Marseille est une ville entre les mains de la «classe moyenne», qui a profité à plein de la disparition progressive des ouvriers et de la grande bourgeoisie locale, autrefois «alliés» objectifs dans la perpétuation du tissu industriel de la ville.
Cette prise de pouvoir s'incarne d'abord dans le personnel politique, qui a présidé aux destinées de Marseille après 1945: «Des trois maires que compte Marseille depuis la fin de la guerre, le premier était avocat, le deuxième médecin, le troisième enseignant», note Michel Peraldi. Defferre, Vigouroux et Gaudin ont en commun d'avoir géré la ville sans la bousculer, de l'avoir dirigée sans la transformer, en se contentant plutôt de la conserver en l'état, ce qui s'appelle, en d'autres termes, faire une politique de la classe moyenne.
Mais un chiffre est encore plus symbolique, tant il représente la main-mise de la petite bourgeoisie locale sur le marché immobilier.
Le sociologue Peraldi remarque justement que «Marseille se distingue par la grande stabilité résidentielle de ses habitants, y compris dans les zones de fragilité économique et sociale. Cette stabilité est d'ailleurs cohérente avec un autre trait distinctif et très singulier de la ville, qui est le fort taux de propriétaires occupants».
Certes, disposer d'un appartement ou, comme c'est souvent le cas à Marseille, d'une petite maison de moins de 100 m2, ce n'est pas disposer d'un patrimoine énorme, tant le marché paraît ridicule comparé aux prix pratiqués en région parisienne ou dans d'autres métropoles françaises.
Mais c'est une donnée importante pour comprendre un certain conservatisme marseillais. Pour comprendre, aussi, une partie du comportement de ses habitants.
À Marseille, ville que l'on présente comme «fracturée socialement», on remarque que les propriétaires y sont presque toujours majoritaires dans tous les quartiers de la ville, des quartiers nord aux quartiers sud.
Il n'y a que dans l'hyper-centre, royaume de Jean-Noël Guérini (est-ce un hasard?) et dans le 15e arrondissement, que les locataires sont plus nombreux que les propriétaires.
Les premières réhabilitations du centre-ville paupérisé ont pourtant déjà eu leur effet. La stratégie est claire: offrir un espace propice au business, à l'emploi, et donc augmenter inéluctablement le prix des loyers et du mètre carré. Problème: malgré les travaux, peu d'offres ont trouvé preneurs.
La preuve que le centre-ville fait figure d'exception.
http://www.slate.fr/story/106713/marseille-derriere-les-cliches
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