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« Faut-il brûler les homos ? » : la Une homophobe de « Maroc Hebdo »

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« Faut-il brûler les homos ? » : la Une homophobe de « Maroc Hebdo » Empty « Faut-il brûler les homos ? » : la Une homophobe de « Maroc Hebdo »

Message par Merl1 Ven 12 Juin - 16:52

« Faut-il brûler les homos ? » : la Une homophobe de « Maroc Hebdo » Maroc-hebdo-homophobe-720x340

Dans un contexte de regain de tensions autour de l’homosexualité (et des questions de mœurs en général) au Maroc, la couverture que vient de révéler le magazine Maroc Hebdo vient jeter de l’huile sur le feu. « Faut-il brûler les homos ? » fait mine de s’interroger l’hebdomadaire basé à Casablanca. Au-dessus de ce titre violemment provocateur, cette accroche qui fait mine de rationaliser la question :

Le ministère de la santé appelle à la dépénalisation de l’homosexualité au Maroc. Certes, c’est un droit individuel. Mais, quid de la morale et des valeurs religieuses?

http://www.tetu.com/2015/06/12/news/faut-il-bruler-les-homos-la-une-homophobe-de-maroc-hebdo/



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« Faut-il brûler les homos ? » : la Une homophobe de « Maroc Hebdo » Empty Re: « Faut-il brûler les homos ? » : la Une homophobe de « Maroc Hebdo »

Message par Raptortriote Ven 12 Juin - 17:52

avant de répondre à ça j'ai une autre question.

Est ce qu'un homo est combustible ?
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« Faut-il brûler les homos ? » : la Une homophobe de « Maroc Hebdo » Anim%20drapeau2
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« Faut-il brûler les homos ? » : la Une homophobe de « Maroc Hebdo » Empty Re: « Faut-il brûler les homos ? » : la Une homophobe de « Maroc Hebdo »

Message par FAB42 Ven 12 Juin - 20:50

« Faut-il brûler les homos ? »
Et les femmes qui portent la burqa en France ou les conneries du même style ?


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« Faut-il brûler les homos ? » : la Une homophobe de « Maroc Hebdo » Empty Re: « Faut-il brûler les homos ? » : la Une homophobe de « Maroc Hebdo »

Message par Merl1 Ven 12 Juin - 20:57

Je crois qu'ils calquent leur ligne éditoriale sur "Valeurs actuelles" chez "Maroc Hebdo" Wink



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« Faut-il brûler les homos ? » : la Une homophobe de « Maroc Hebdo » Empty Re: « Faut-il brûler les homos ? » : la Une homophobe de « Maroc Hebdo »

Message par Raptortriote Ven 12 Juin - 20:58

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« Faut-il brûler les homos ? » : la Une homophobe de « Maroc Hebdo » Empty Re: « Faut-il brûler les homos ? » : la Une homophobe de « Maroc Hebdo »

Message par Louis Quemener Sam 13 Juin - 13:46

Raptortriote a écrit:avant de répondre à ça j'ai une autre question.

Est ce qu'un homo est combustible ?

D'après nos experiences, quand il arrete de bouger c'est bon.


«Je ne suis pas venu apporter la paix sur la terre, mais le glaive» NSJC
"Je suis réactionnaire parce qu'antiparlementaire, antidémocrate et antisocialiste." Mussolini
"Combattre l'esprit de la République française, tel est notre premier devoir." Roparz Hemon
"Nous ne reconnaissons ni grande, ni petite patrie. Nous ne reconnaissons que la patrie. Une seule patrie : La Bretagne." Louis Napoléon Le Roux.
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« Faut-il brûler les homos ? » : la Une homophobe de « Maroc Hebdo » Empty Re: « Faut-il brûler les homos ? » : la Une homophobe de « Maroc Hebdo »

Message par Merl1 Sam 13 Juin - 20:35

Zet pas très rassurant...



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« Faut-il brûler les homos ? » : la Une homophobe de « Maroc Hebdo » Empty Re: « Faut-il brûler les homos ? » : la Une homophobe de « Maroc Hebdo »

Message par ganem Jeu 3 Déc - 17:18

La sociologue et féministe marocaine Fatima Mernissi est morte


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« Faut-il brûler les homos ? » : la Une homophobe de « Maroc Hebdo » Empty Re: « Faut-il brûler les homos ? » : la Une homophobe de « Maroc Hebdo »

Message par ganem Sam 26 Mar - 19:48

Le plein-genre Raja Ben Slama

On raconte qu'un des Califes umeyyades ordonna au gouverneur de Médine de "recenser" les chanteurs "efféminés" de la ville sainte.

Or, en arabe, seul un point diacritique sépare le verbe "recencer"(ahsi) du
verbe "châtrer" (akhsi). C'est ainsi que, par inadvertance, le gouverneur fit émasculer un bon nombre de chanteurs, parmi lesquels le surnommé Dalal. (Isfahani : VI, 266-297). Réputé "beau, courtois et éloquent", "Dalal-l'efféminé" était l'un des plus illustres musiciens médinois du VIIème siècle. "Efféminé" ne rend qu'approximativement l'arabe mukhannath, mot qu'il ne faut pas confondre avec Khuntha: :
hermaphrodite, quoique les deux vocables dérivent de la même racine
(kh-n-th) qui signifie globalement : se tordre, se tortiller, se
pencher… Un mukhannath est généralement un homosexuel "passif". Mais
Dalal se voulait à la fois passif et actif. Aimant aussi bien "ce qui
plaisait aux hommes et aux femmes", il était donc ce qu'on appelle
aujourd'hui un "bisexuel".



Loin d'être seulement "une anecdote plaisante, forgée pour mettre en
évidence les inconvénients de la graphie arabe..." (cf : Encyclopédie
de l'Islam2, Khasi, III, Cool, cette histoire de castration témoigne de
la violence dissuasive dont on pouvait faire usage pour traiter, ou
tenter de traiter les troubles du "gender", et gérer les paradigmes
souvent brouillés de la "normalité" et de "l'anormalité" . D'ailleurs,
le lapsus du gouverneur n'est nullement dénué de sens : "recencer" et
"châtrer" participent du même geste politiquo-identitaire qui tranche,
assigne des rôles et des identités fixes, distingue par des marques,
censure. Sans doute, Dalal troublait-il l'ordre moral en s'adonnant au
chant, au vin et à l'adultère, pratiques répréhensibles aux yeux des
censeurs de la ville sainte. Mais ce qu'il mettait surtout en péril, à
plus d'un titre, et qui le mettait en péril, c'était l'ordre des
évidences normatives et des hiérarchies statutaires qui soutiennent
toute société formellement bipolaire, et fortement andro-hétérocentré.
Il était un affranchi (mawla) qui rendait visite aux femmes de
condition libre, leur valait à la fois d'entremetteur et d'amant, et
affichait sa bi-sexualité. De là sans doute, l'arbitraire de son
châtiment qui ne correspond, juridiquement parlant, à aucune
disposition légale précise, mais qui répond sourdement à la logique de
la politique identitaire des genres : que soient émasculés les hommes
qui ne sont ni hommes ni femmes ; que soient exclus de l'ordre viril,
tous ceux qui sont indignes de leur identité de genre et de leur
statut d'hommes de condition non servile, tous ceux qui s'autorisent à
franchir la barrière séparant les hommes et les femmes de condition
libre, et que le Coran désigne par le terme hija:b : voile.



Des trous dans l'ordre sexuel

Dieu, dit le Coran , a créé l'Homme (insa:n), mais Il aussi créé "le
mâle et la femelle" séparément (49/13; 53/45; 75/39; 92/3). L'ordre
divin des genres est strictement binaire, il n'admet pas de troisième
genre. Commentant l'un de ces versets, un exégète rappelle que Dieu a
"limité la progéniture (d'Adam et Eve) à deux genres seulement ; il en
découle que l'hermaphrodite ne constitue pas un genre, car sa vérité
le rattache aux deux genres : celle de l'humanité (a:damiyya, relatif
à Adam), il est de ce fait ramené à l'un des deux genres (masculin ou
féminin)… selon que les organes lui sont en défaut ou en excès".
(Qurtubi : III/1315) Mais cette négation du troisième genre sera
constamment démentie ou mise à l'épreuve de l'expérience. Dans le
livre sacré lui-même, il est fait référence à deux catégories d'êtres
pouvant, chacune à sa manière, mettre à mal la dualité décrétée par
Dieu. L'eunuque, être que l'on essayait de "dé-sexualiser", et que
l'on fabriquait essentiellement à l'usage des harems, forme la
première. On pense que le Coran y fait allusion dans le verset (XXIV,
31) où il est dit que les femmes sont autorisées à montrer leurs
atours aux domestiques mâles "que n'habite pas le désir charnel".
L'éphèbe constitue la seconde : être paradisiaque, ni-femme ni-homme,
mais fortement sexué, il est l'un des objets de jouissance dont
disposeront les hommes croyants. En effet, bien qu'il condamne
fermement l'homosexualité masculine (liwa:t), le Coran promet aux bons
croyants d'être servis au Paradis par des éphèbes immortels (LVI, 17),
"qui sembleront perles cachées" (LII, 24), "perles détachées (LXXVI,
19). Même si en dernier ressort ces deux catégories consolident la
domination masculine en ce bas- monde comme dans l'au-delà, au coeur
même du Livre sacré s'ouvre déjà une brèche dans l'édifice théologique
de l'ordre sexuel binaire.



Dans la société des premiers siècles de l'Hégire, dans les écrits qui
s'en font largement l'écho, et où le rêve, le rire et le blasphème
sont à l'honneur, s'édifieront, en même temps qu'un espace social
sécularisé, une culture du pluriel et de l'équivoque, une tradition du
troisième genre que les idéologies modernes de la pureté et de
l'homogéneité originelles parviennent mal à occulter. Ainsi l'histoire
de Dalal, qui aurait dit à la suite de sa castration : "maintenant,
mon khunth est parfait". Dans ce substantif qualificatif de khunth, on
retrouve l'ambiguité de la racine (kh-n-th) qui renvoie aussi bien à
l'homosexualité masculine qu'à l'hermaphrodie. Dalal aurait ainsi
exprimé son désir d'appartenance au khunth, à un genre qui n'en est
pas un. La mutilation qui l'exclut de l'univers des hommes n'en fait
pas pour autant une femme; elle n'en fait pas non plus un eunuque, un
homme moins les attributs d'un homme, puisqu'il la transforme en un
accomplissement Sans vouloir lui prêter une conscience contemporaine
"queer", on peut dire qu'il se réapproprie constamment son corps,
construit sa propre vie et son désir en dehors des implications de sa
première identité de genre, comme en dehors du marquage politique par
lequel on a voulu en faire un castrat.



Et ce sont des catégories sociales entières qui, à l'instar de Dalal,
creusent des trous dans l'ordre bipolaire. La réalité des intersexuels
s'imposera aux docteurs de la Loi qui devront traiter du statut
juridique des hermaphrodites qualifiés de "problématiques" ou
"indéterminés" (khuntha: mushkil) Ils décréteront que ces personnes ne
sont pas aptes au mariage, qu'elles héritent de la moitié de la part
successorale de la femme et de la moitié de celle d'un homme. (Ibn
Juzay, 339) La rémanence du sexuel chez les eunuques est une autre
source de désordre générique et statutaire. Rien n'empêche ces
serviteurs, préposés surtout à la garde des femmes, d'avoir une vie
érotique très active (Jahidh1, I, 123 sqq). Ils sont mêmes plutôt
appréciés car ce sont des partenaires dont "l'érection est rapide et
l'éjaculation lente à venir", et avec lesquels les risques de
conception sont nuls. En témoigne le prologue des Mille et une nuit,
où le Sultan, horrifié, découvre le commerce sexuel de son épouse avec
son eunuque noir. Les juristes discuteront de leur aptitude à diriger
la prière, mais ils admettront qu'ils peuvent prendre des épouses.



Ce n'est pas le terme "mukhannath", relativement neutre ou teinté
d'humour, qui est utilisé par le Coran pour qualifier l'homosexualité
masculine, mais celui de liwa:t, dénominatif provenant de Lu:t,
traduction du prophète biblique Loth. Dans plusieurs versets (VII,
79-91; XXVII, 54-55; XXVI,165), le Coran dénonce ce vice et rappelle
le châtiment que Dieu a infligé au peuple de Loth pour s'y être
adonné. Se référant au verset VI,15 où il est dit : "A l'encontre de
celles de vos femmes qui commettent la Turpitude, requérez témoignage
de quatre d'entre vous! Si ceux-ci témoignent (de la chose), retenez
(ces femmes)dans (vos) demeures jusqu'à ce que la mort les rappelle
(au Seigneur) ou qu'Allah leur donne un moyen" (BlachèreII, 928),
certains exégètes ont donné le sens de saphisme au terme "turpitude"
(fa:hicha) et non le sens d'adultère ou de fornication. On en a déduit
que les lesbiennes étaient justiciables de l'assignation à résidence
jusqu'à la mort.



Il semble pourtant que ces orientations sexuelles étaient relativement
ouvertes et largement tolérées. De même que l'interdiction du vin n'a
pas empêché qu'on en boive et qu'on le célèbre dans la poésie,
l'interdiction de l'homosexualité n'a pas empêché ces amours illicites
et leur glorification. On n'attendait pas le Paradis pour savourer
l'amour des éphèbes. Des rois tel l'Aghlabide Ibrahim II et des
Califes abbassides tels al-Amin et al-Mu'tasim s'entouraient de
mignons. Des "garçonnes" (ghulamiyyat), jeunes femmes esclaves
travesties en éphèbes, revêtues d'habits masculins, répandaient des
phantasmes d'ambiguité dans les cours califales et les salons. On peut
parler d'un véritable tournant esthétique et érotique dans la culture
arabe qui, dès le VIIIe siècle, porte à la célébration de
l'homosexualié et des amours homo-sexuelles. Un genre poétique est
désormais consacré à l'amour des éphèbes. Des poètes comme Abu Nuas
faisaient l'éloge de l'impudeur, chantaient le vin, l'adultère et
l'homosexualité, tout en jouissant d'une large célebrité auprès de la
noblesse comme du petit peuple. Dans l'une de ses épîtres, Al-Jahiz
(m.869) met en scène un débat entre un amateur des femmes et un
amateur d'éphèbes. Ce dernier présente l'amour des femmes comme une
marque de bédouinité, c'est-à-dire de rusticité et d'austérité, tandis
que les plaisirs raffinés que procurent les éphèbes supposent un haut
degré de civilisation. (2, II, 116) Aux fameuses légendes d'amour
courtois hétérosexuel s'ajoutent des histoires d'amour homosexuelles
non moins prisées et pourvoyeuses de figures idéalisées auxquelles on
pouvait s'identifier. Qu’on se rapporte simplement au bibliographe Ibn
Nadim (m.1047), pour voir le nombre de titres de romans d'amour où
apparaissent alternativement des noms féminins et masculins; ou bien
au Collier de la Colombe de l'Andalou Ibn Hazm (m.1064) pour découvrir
les biographies des amoureux qui, tel le poète et grammairien Ahmed
ibn Kulayb, sont morts de chagrin pour un homme sans que leurs amours
ne suscitent mépris et condamnation. L'homosexualité passive ne semble
pas avoir inspiré le même dégoût que chez les Romains, et c'est en
employant les mots "amant" ('a:shiq) et "aimé" (ma'shu:q), termes
vagues et sans connotations sexuelles précises qu'on désignait, du
moins dans les biographies des amants, les deux partenaires
homosexuels. Toutes sortes de pratiques érotiques paraphiliques
entraînant un désordre sexuel et statutaire (telles celles où le
maître est sodomisé par ses esclaves mâles (Tifachi, 202)), trouvaient
leur place dans des traités d'érotologie aussi étalés dans le temps
que "Kita:b al-sahha:qat" (Livre des lesbiennes) de Saymari (IXe
siècle), Nuzhat al-alba:b (Agrément des esprits) de Tifachi (XIIIe
siècle), Al-Raoudh al-'a:tir (le Jardin Parfumé) de Nefzaoui (XVIe
siècle)…



Le Coran reste muet sur le châtiment prévu pour l'homosexualité
masculine. Les premiers califes ont, semble-t-il, appliqué la peine
capitale la plus implacable : les homosexuels étaient ensevelis sous
les décombres, lapidés ou précipités du haut d'un minaret. Les
Hanbalites, qui sont les juristes les plus sévères, ont opté pour la
mise à mort par lapidation ; la majorité des autres docteurs ont opté
pour la flagellation avec ou sans bannissement, suivant que le
coupable de condition libre est marié (muhsan), ou ne l'est pas. Mais
comme l'homosexualité n'aboutit ni à la conception ni "au mélange des
généalogies", les sentences ont évolué vers une peine discrétionnaire
peu sévère décidée par le juge. Pour Ibn Hazm, qui était aussi
juriste, le nombre de coups dont est passible un homosexuel peut être
réduit à 10 (Muhalla XI, 390) De plus, comme pour l'adultère, la
preuve du délit est difficile à administrer, puisque la loi exige la
présence de quatre témoins oculaires et irrécusables, ce qui rend la
sanction quasiment inapplicable. On s'explique mieux le caractère
parfois arbitraire et violent du châtiment, comme dans l'histoire de
Dalal : les autorités politiques décident de rétablir l'ordre, et de
mener des campagnes d'assainissement moral qui n'entraînent pas,
nécessairement, l'application de règles juridiques précises.



Mais ni les châtiments arbitraires, ni les sanctions des différentes
écoles juridiques, ni le moralisme des sermonnaires et des Hanbalites
n'ont eu raison de l'immoralité publique et de la culture du troisième
genre et du hors genre. Les Musulmans des premiers siècles de l'Hégire
ont ainsi pu inventer de larges zones de tolérance entre Loi et désir,
profitant, comme disent les poètes, des moments où les censeurs et les
gardiens du sacré sommeillaient. Dieu malgré tout, est clément et
miséricordieux, le péché est l'amorce du repentir, le repentir
l'envers du péché. On a pu émasculer Dalal, mais non éteindre ses
sarcasmes et ses chants.



L'effroi moderne

La morale sexuelle des Arabes modernes s'est progressivement assombrie
avec l'adoption des mécanismes disciplinaires et des modes
d'assujettissement élaborés par l'Etat occidental moderne, ainsi
qu'avec les vagues déferlantes d'"éveil islamique". La naissance du
mouvement wahhabite rigoriste en Arabie Saoudite au XVIIIe siècle et
la fondation, dans les années vingt du siècle précédent, du mouvement
égyptien des "Frères musulmans" sont les épisodes les plus marquants
de cet "éveil" qui se traduit notamment par le refus de la
sécularisation de l'espace social et par la fiction d'une pureté et
d'une homogénéité originelles. Aussi les prohibitions imposées par une
certaine modernité occidentale, à l'encontre de l'homosexualité
notamment, ont-ils confortés les interdits du droit musulman. Le
joyeux brouillage des genres des Anciens a fait place à l'horreur et à
la fureur sacrales.



La morale moderne a notamment suscité le raffermissement de la
bi-polarité sexuelle, l'occultation des ambiguités sexuelles dues à
des déficiences biologiques (intersexualité) et le refus de la
transsexualité. Alors que les anciens juges absolvaient
l'hermaphrodite et tentaient de lui accorder un statut légal, les
modernes confondent tout. En témoigne l'histoire de Samia, une
intersexuée tunisienne à qui on a attribué le nom masculin de "Sami"
et l'identité d'un homme, mais qui a eu recours à la chirurgie pour
mettre un terme à son ambiguïté biologique. Les magistrats, par un
arrêt de la cour d'appel de Tunis, daté du 22 Décembre 1993, ont
rejeté la requête introduite par Samia pour changer d'état civil.
Ayant argué que le Droit positif ne se prononce pas sur la question,
et rejeté la jurisprudence française qui accorde depuis 1992 la
liberté de changer son sexe, le juge a décidé de s'en remettre au
droit musulman, qui n'a pourtant jamais statué sur un cas de
transsexualisme. Au lieu d'assimiler Sami(a) à un hermaphrodite, on
l'a assimilée à un homosexuel, à un déviant qui "a modifié d'une façon
arbitraire et délibérée son sexe", transgressé l'ordre sacré, soit
l'ordre de la nature institué par Dieu. On a fait valoir le verset :
"Dieu sait ce que porte chaque femelle et la durée de la gestation.
Toute chose est mesurée par lui" (XIII, Cool. On a repris également un
hadith du prophète : "Dieu maudit les hommes qui veulent ressembler
aux femmes et les femmes qui veulent ressembler aux hommes." (Rdissi,
Abid)



L'homosexualité est aujourd'hui frappée d'illégalité dans bien des
pays arabes, passible de peine capitale en Arabie Saoudite, au Soudan,
au Yemen et en Mauritanie, de 14 ans de prison aux Emirats arabes
unis, 7 ans en Libye et 3 ans au Maroc.
Dans les pays où elle n'est pas explicitement interdite par la loi, on
n'épargne aux "fils de Loth" ni les arrestations ni les brimades.
Rappelons, à titre d'illustration, l'affaire des 52 hommes égyptiens
accusés d'homosexualité et arrêtés dans une boite de nuit le 11 mai
2001. Inculpés pour « violation des enseignements de la religion et
propagation d'idées dépravées et d'immoralité sexuelle », ils ont
comparu devant la Cour de sûreté de l'Etat et 23 d'entre eux ont été
condamnées à des peines de prison avec travaux forcés allant de trois
à cinq ans, sans possibilité de faire appel. Déchaînée, la presse
cairote a affirmé que ces "pervers" étaient des "adorateurs de Satan"
qui "entretien-nent des rapports avec des mouvements sionistes,
organisent des pélerinages gays en Israël et se livrent à des orgies
homosexuelles." (Kéfi, 66) Tout en se réclamant de la Shari'a, ils ont
ignoré les opinions plus clémentes des anciens juristes, oublié la
condition traditionnellement exigée pour l'administration de la preuve
du délit, à savoir la présence de quatre témoins oculaires au moment
de l'accomplissement de l'acte sexuel. Comme dans l'affaire de Samia,
on constate un même effacement des subtilités juridiques du passé,
effacement non compensé par une référence nouvelle aux droits de
l'homme. Face au délire de rejet et de diabolisation, les autorités
égyptiennes, ont préféré donner des gages aux activistes islamistes.
Quant aux associations égyptiennes des Droits de l'homme, elles ont
gardé le silence ou pris leurs distances à l'égard des inculpés .



Comme dans la littérature néo-fondamentaliste, on parle désormais de
"pervertis" ou "déviants" sexuels (shawa:dh). Alors que les Anciens
situaient l'homosexualité dans la nature et l'anatomie, évoquaient
l'homosexualité animale (Jahidh, III/204) considéraient le saphisme
comme "une envie naturelle", et attribuaient l'homosexualité à des
anomalies biologiques telles que la carence en chaleur chez les
hommes, l'atrophie de l'utérus (Tifachi, 170) ou la proéminence du
clitoris chez les femmes (Avicenne1, II, 1691), les Modernes, eux,
considèrent l'homosexualité comme un vice contre-nature dont même les
animaux sont exempts. (Jaziri V, 211) Et ce n'est pas la pathologie
psychiatrique ou psychanalytique qui est invoquée dans cette
"dé-naturalisation" de l'homosexualité, mais une démonologie, jointe à
un imaginaire identitaire de la Umma dont la purification appelle
l'éradication de l'Autre et de ceux qui entretiennent des rapports
avec lui : l'homosexuel tiendrait commerce avec le Diable ; il est le
représentant des agresseurs occidentaux ou israëliens. Les campagnes
menées contre les homosexuels seraient une sorte d'exorcisme politique
pratiqué, dans la terreur sacrale, sur le corps imaginaire de la Umma.
Et c'est parce que l'angoisse homosexuelle est trop pesante qu'on la
projette sur l'autre, c'est parce que cet autre diabolique est
extérieur–intérieur, haï-aimé qu'on veut l'extirper en hurlant au
sacrifice.



Il est évident que dans un contexte où sont frappés d'interdit non
seulement l'homosexualité mais tous les rapports sexuels
extra-conjugaux, où la liberté de disposer de son corps n'est pas
encore à l'ordre du jour des associations des droits de l'homme et des
mouvements de femmes, on ne peut espérer la formation de mouvements
arabes gays-lesbiennes ou plus généralement LGTB (Lesbiennes, gays,
transsexuels, bisexuels). Cependant, en terre d'exil, les "queers"
arabes commencent à s'organiser dans des associations telles que
"Sawasiya (égaux): Pour la défense des droits des homosexuels dans le
monde arabe" ou des réseaux tels que "Le collectif de lesbiennes
Nord-Africaines et arabes (ou de langues et de culture arabes) appelé
"Les N'DéeSses. Ces mouvements post-féministes ont trouvé sur le web
un espace de communication et d'expression culturelle multilingue, où
des liens se tissent entre queers vivants "en terre d'Islam" et "en
terre d'exil". C'est dans ces lieux virtuels que les exclus de l'ordre
"bipolaire-hétérosexuel" tentent de briser l'enfermement et d'agir
politiquement, tout en se réappropriant le langage et le souvenir de
la tradition arabe du hors-genre : on peut lire dans 2002 sehakia.org
: "Autant que possible, Sawasiyah va mettre un point d'honneur à
s'exprimer en arabe dans ses communications et ses publications, non
seulement pour fournir une preuve symbolique que l'homosexualité fait
partie de notre culture, et n'est pas qu'un "phénomène importé de
l'Occident", mais aussi parce qu'il s'agit du moyen le plus efficace
d'atteindre ces millions d'homosexuels de langue arabe ainsi que les
gens qui les soutiennent, et de les encourager dans leur combat
incessant pour la liberté et l'égalité."



La séduction-sédution (fitna)

Il existe en arabe un verbe pour signifier "enterrer quelqu'un vivant"
(wa'ada). Les femmes dans le monde arabo-musulman n'ont pas été
brûlées, comme les sorcières en Europe, et le Coran a aboli une
pratique préislamique qui consistait à enterrer les filles vivantes à
la naissance. Mais il y a tout lieu de penser que, réel ou symbolique,
l'enterrement guette toujours les femmes, soupçonnées non pas
exactement de sorcellerie, mais de "séduction-sédition" (fitna),
entendons : ce qui détourne de Dieu, et qui rend l'homme imperméable à
ses signes. C'est ce qui, en même temps apparente la femme au démon
qui, d'ailleurs, s'appelle "fatta:n" et qui "égare les hommes et les
berne de désirs".



Dans la constellation de récits qui forment l'histoire de Dalal, nous
relevons deux anecdotes mêlant le sort du libertin à celui des femmes,
et où chacun a son lot de répression. On raconte que Dalal fréquentait
deux femmes de la haute société omeyyade dont l'une était la nièce du
gouverneur de Médine, le fameux Marwan ibn al-Hakam (m.685). Ces deux
femmes réputées "des plus dévergondées, montaient à cheval et se
livraient à une course telle qu'elles découvraient les chaînettes qui
ornaient leurs chevilles". Le Calife Muawiya demanda au gouverneur de
châtier sa nièce. "Celui-ci invita la jeune femme chez lui, ordonna
qu'on creuse un puits sur le chemin qu'elle avait l'habitude
d'emprunter et le fit recouvrir de paille. La jeune fille y tomba et
le puit lui servit de tombe. On fit chercher Dalal, mais il s'enfuit à
la Mecque".



La deuxième anecdote a trait au comportement de Dalal lors de la
prière. "L'efféminé Dalal, priait à mes côtés à la mosquée. Il péta si
fort que tous les fidèles présents alentour l'entendirent. Nous
relevâmes aussitôt la tête tandis qu'il se prosternait toujours,
prononçant ces mots à voix haute : Gloire à Toi, par ma tête et par
mon postérieur! Tout le monde dans la mosquée fut séduit et les rires
qui fusèrent interrompirent les prières". Dans les deux récits,
s'articulent, à travers la question de la séduction, la gestion du
sacré et la politique identitaire des genres. Le corps émerge
pleinement dans son étrangeté, et déborde sur la scène sociale ou
socio-religieuse : ainsi le pet de Dalal au milieu de l'assistance en
prière, sa présence en tant que mukhannath dans les rangs des fidèles,
les chaînettes ornant les chevilles des jeunes cavalières qui vivent
leur féminité comme bon leur semble, en outrepassant la division de
l'espace social entre espace privé-fermé et espace public-ouvert. Dans
les deux cas, il y a "séduction-sédition", terme curieusement attribué
dans le récit du pet à Dalal. Entre l'homme et Dieu, s'interposent des
écrans : une femme ou un hors-genre. Mais tandis que la
séduction-sédition de Dalal déchaîne les rires, celle des femmes
déchaîne une violence punitive. La femme, "monstre pullulant de
signes" (Benslama, 61), est donc l'écran le plus opaque sur lequel on
doit dresser un "écran" qui "interdit" et "sépare", significations
auxquelles renvoie le terme hija:b : voile. Ce voile-écran serait une
étoffe, une porte fermée ou une tombe et c'est ce que dit à peu près
un hadith du Prophète : "mieux vaut pour la femme un mari ou une
tombe".(Ibn al-Jawzi, 133). On est plus prompt à sévir contre la
frivolité des femmes que contre l'indécence d'un homosexuel, plus
prompt à réprimer ceux qui troublent l'ordre des genres que ceux qui
mêlent le sacré au profane. Plus précisément, la ligne de démarcation
qui partage les femmes et les hommes nous semble plus nettement
déterminée que celle qui partage les genres et les hors-genre, le
sacré et le profane, la prière et le rire qui rompt la prière. Dalal,
on l'a vu, a franchi toutes ces lignes, mais les dangers qui le
guettent s'accroissent du fait de sa fréquentation de ces femmes,
qu'il peut être accusé d'avoir débauchées. Dans la répression ayant
trait à la politique des genres, certains sont donc plus opprimés que
d'autres, certains sont plus séducteurs-séditieux que d'autres. Dalal
a survécu à son châtiment et résisté à l'oppression, alors que le sort
de la jeune cavalière illustre bien celui de "l'enterrée vivante"
(maw'uda) : son corps, son souvenir et sa parole seront ensevelis.



Mais plus profondément, Dalal a subi le châtiment d'un gouverneur,
alors que le meurtrier de la jeune femme cumulait les fonctions de
gouverneur et d'oncle faisant figure de père. Celui-ci agissait,
simultanément, en protecteur de l'ordre moral de la Cité et de
l'honneur de la tribu. Une indifférenciation politique serait-elle à
l'oeuvre dans l'oppression et la discrimination des femmes,
l'oppression des femmes serait-elle à l'origine de la légitimation de
la violence? "L'ordre des ordres" s'organisait-t-il autour de la
réclusion des femmes? Comment ne pas voir les chevilles et les
chainettes de la cavalière miroiter dans ce verset : "Dis aux
croyantes de baisser leurs regards, d'être chastes, de ne montrer de
leurs atours que ce qui en paraît. Qu'elles rabattent leurs voiles sur
leurs gorges!...que [les Croyantes] ne frappent point [le sol] de
leurs pieds pour montrer les atours qu'elles cachent!..." (XXIV, 31,
Blachère : II,1009-10)?



Je ferai un saut dans le temps pour rappeller un événement qui me
parait comparable au récit de la jeune cavalière. Le 6 Novembre 1990,
un groupe de 47 femmes saoudiennes ont pris le volant de leurs
voitures, en signe de manifestation contre l'interdiction qui leur est
faite de conduire. Elles ont traversé l'avenue du roi Abdel Aziz, à
Riad, et refusé l'intervention des gardiens religieux des mœurs. Les
forces de l'ordre n'ont pas tardé à les arrêter pendant onze heures;
et elles les ont obligées à signer un engagement selon lequel elles ne
récidiveraient pas, sous peine d'en supporter les conséquences. On a
également obligé leurs pères et leurs époux à signer un engagement
semblable. Suite à cette manifestation, le Ministère de l'Intérieur a
officialisé l'interdiction, conformément à une fatwa prononcée par le
Cheikh Ibn Baz, autorité religieuse suprême du pays, et par d'autres
grands ulémas. L'argument essentiel est ici inspiré de la technique
juridique consistant à interdire le licite qui peut mener à l'illicite
("sadd adh-dhara:'i'), l'adultère étant, selon chez ces cheikhs,
l'issue fatale de la libre circulation des femmes en ville. Puis les
manifestantes, parmi lesquelles on comptait des universitaires, des
journalistes et des fonctionnaires, ont été licenciées. Les fatwas et
les déclarations dénonçant ces "scélérates qui montrent leurs atours"
se sont multipliées. Les langues qui s'étaient tues face au
débarquement des troupes américaines en Arabie Saoudite se sont
déliées pour maudire 47 femmes, considérées comme une menace pour
l'Islam et pour l'ordre social, dans un délire de rejet comparable à
celui suscité par les 52 égyptiens accusés d'homosexualité.



D'un siècle à l'autre, le véhicule a changé, mais il s'est agi cette
fois d'un geste collectif, politique et délibéré, embryon d'un
mouvement féministe qu'on a voulu faire avorter. Les arguments jetant
l'interdit sur les corps féminins et sur la circulation, sont restés
les mêmes. Le même verset XXIV, 31 qui a prévu le châtiment de la
cavalière servira, quatorze siècle plus tard, d'argument d'autorité
"sacrée" pour la condamnation des manifestantes saoudiennes, toujours
réduites à des femelles qui se pavanent et montrent leurs atours. De
quelles montages originaires procède donc cet ordre des ordres qui
commande encore le présent des femmes et des hommes arabes? Par quels
moyens s'est édifié l'infaillibilité et la transhistoricité de ce
qu'on appelle actuellement "la Shari'a"?





Dans les tableaux que nous brossons des rapports sexe/genre et des
rapports entre les genres, dans la déconstruction des agencement
"phallogocentriques" ou plus précisément "théophallocentriques" qui
structurent encore le sujet dans le contexte arabo-islamique, nous
éviterons, tout d'abord, de mettre de l'ordre en écartant la
complexité des faits, la dynamique sociale et les disparités entre les
pays arabes en matière de rapports entre les hommes et les femmes.
Puisque notre savoir est toujours "situé", nous préciserons,
négativement, les "situations" dont nous nous écartons, situations
identifiables dans les pratiques dicursives contemporaines. Nous nous
écarterons d'abord de la défense de "l'image du monde arabe à
l'étranger", qui se confond avec la défense de l'"identité" menacée
par la mondialisation et les nouvelles ambitions impérialistes.
"Améliorer l'image des Arabes à l'étranger" est en effet la tâche
assignée à l'intellectuel arabe par les gouvernements et les
organisations régionales qui leur sont affiliées. Nous refuserons tout
autant la stéréotypie cultaraliste qui développe la fiction d'une
nation arabo-islamique réfractaire à la démocracie, non désireuse de
liberté, celle orientaliste ou orientalisante, qui consiste à
emprisonner la réalité des femmes et des hommes arabes musulmans dans
une série de moules préconçus et de simplifications hasardeuses :
images de femmes voilées aveugles à la lumière du jour, cheiks
richissimes et polygames, mains coupées, corps lapidés ou à l'inverse
: images, propre à satisfaire tout le monde, d'un Orient enchanteur :
danses du ventre, encens, parfums, désert…Nous éviterons enfin de
céder à l'idéalisation utopique du passé des femmes arabes, à
l'illusion d'un Islam authentique qu'il suffit de retrouver, ou d'un
paradis féminin perdu dont il faut se souvenir, illusion que beaucoup
d'écrits réformistes ou féministes ne cessent d'entériner. A trop
vouloir ménager la susceptibilité des thuriféraires du sacré, on finit
par leur emboîter le pas, en adhérant à la même démarche idéalisante
et sacralisante. C'est dans la perte et le deuil salutaires, et non
dans la défense frileuse de "l'identité" et du passé qu'un renouveau
de la pensée et de la vie, voire même de l'expérience religieuse, peut
être amorcé.



A l'instar de la religion juive ou chrétienne, mais en suivant sa
propre voie, l'Islam a apporté un soutien théologique à la domination
masculine et patriarcale.

La démarche monothéiste qui consiste à "récupérer les qualités divines
du féminin maternel au profit d'un dieu créateur paternel"
(Transeuropéennes, 18) est illustrée dans le Coran par les versets qui
opposent Allah aux anciennes divnités féminines, importantes dans le
panthéon préislamique : "…Quiconque associe à Allah [des parèdres] est
dans un égarement infini. [Ces Associateurs] ne prient que des
femelles. Ils ne prient qu'un Démon rebelle." (IV, 116-117, Blachère
II, 957). Ce ravalement du féminin se traduit certes par "un passage
de l'évidence maternelle à l'inévidence du paternel" et une
valorisation de la fonction paternelle et donc symbolique. Mais on
constate dans le Coran une tendance à marquer l'évidence biologique du
père, ce qui entraîne un contrôle accru de la vie sexuelle des femmes
de condition libre, et un renforcement des liens de la parenté
biologique. En effet, le Coran impose une "retraite" déterminée
('Idda) à la femme répudiée ou veuve (II,234; LXV,1) pour que les
paternités ne se confondent pas. Il accorde au mari qui souçonne sa
femme d'adultère le droit de recourir à la procédure du "désaveu de
paternité" (li'a:n) (XXIV, 6). Il interdit l'adoption des enfants
(XXXIII, 4-5). Il renforce le régime du mariage reconnaissant à
l'homme son statut de "ba'l", c'est à-dire de maître et d'époux à la
fois, en interdisant notamment d'autres types de mariage que les
Arabes, semble-t-il, ont connu dans le passé, tel celui où les enfants
appartiennent à la tribu de la femme, ou celui qui annule clairement
la paternité biologique en ce sens que "l'homme ordonne à sa femme dès
qu'elle a fini de sa période de menstrues, d'aller chercher un autre
homme et de s'unir à lui pendant une période donnée, en se promettant
de ne pas la toucher jusqu'à ce qu'elle tombe enceinte de l'autre
homme…l'objectif étant d'améliorer la progéniture". (Lisan : b-dh-',
Mernissi 63-69)



Ce ravalement de la maternité et du féminin est rendu explicite par
les versets qui énoncent la suprématie ontologique, politique et
juridique de l'homme ainsi que "l'ascendant" ou la prééminence (fadhl)
que Dieu a donné aux hommes sur les femmes (II, 228). La suprématie
ontologique découle de la formulation binaire de l'acte de création
divine. Si Dieu a créé "le mâle et la femelle", on peut penser qu'Il a
créé le mâle avant la femelle, ou qu'Il a créé la femelle à partir du
mâle, puisque Eve a été tirée du corps d'Adam selon le mythe biblique
et coranique. La suprématie politique et juridique découle du principe
"d'autorité de l'homme sur les femmes" (qiwa:ma), lourd de conséquence
en matière de droit privé et de droit public. Il est clairement
annoncé dans le verset suivant, tiré de la sourate des Femmes, que
nous citons en entier, d'après la traduction la plus littérale, celle
de Blachère : "Les hommes ont autorité sur les femmes du fait qu'Allah
a préféré certains d'entre vous à certains d'autres, et du fait que
[les hommes] font dépense sur leurs biens [en faveur de leurs femmes].
Les [femmes] vertueuses font oraison (qanit:at) et protègent ce qui
doit l'être (?), du fait de ce qu'Allah consigne (?). Celles dont vous
craignez l'indocilité, admonestez-les! Reléguez-les dans les lieux où
elles couchent! Frappez-les! Si elles vous obéissent, ne cherchez plus
contre elles de voie [de contrainte]! Allah est auguste et grand."
(VI, 34, Blachère II, 935).



C'est ce verset qui institue l'obligation d'obéissance de l'épouse à
son mari et le droit du mari à instruire et punir sa femme. Mais c'est
aussi en s'y référant que les exégètes anciens ont stipulé que les
femmes, tout comme les hermaphrodites "problématiques", les esclaves
et d'autres catégories d'exclus, n'ont pas le droit d'exercer des
fonctions d'autorité dans le public et le privé (wila:ya:t). Cette
privation est consolidée par l'institution du Voile, qui, à l'époque
du prophète, ne signifiait pas seulement l'étoffe sur le corps
féminin, mais bien la division de l'espace social et la réclusion des
femmes de condition libre. La spacialité de la notion de Voile est
attestée dans le verset XXXIII, 53 qui impose cette institution aux
femmes du prophète, ainsi que dans les versets XXXIII, 32-33 qui
ordonnent à toutes les femmes de "demeurer dans leurs demeures" et de
ne plus montrer leurs atours.



Ce principe d'autorité qui impose l'obéissance des femmes aux hommes
n'entraîne pas simplement l'exclusion de celles-ci de la sphère
politique.

Il a son homologue dans la vie publique : l'obligation d'obéissance
aux gouverneurs (u🇱🇺-l-'amr), instituée par le Coran (VI, 59),
renforcée par le droit musulman qui ne prévoit pas d'institutions ou
de mécanismes de pouvoir limitant le pouvoir. Cette obligation
d'obéissance dans les deux sphères en miroir comporte une structure de
non-différenciation des fonctions, hostile à l'instauration de
tiercéités et à l'apparition d'une véritable scène politique. Les
"circonstances de la révélation" par lesquelles les exégètes
expliquent la révélation du verset VI, 34 illustre bien cette
structure "dé-politisante". On évoque à propos de ce verset, une
histoire de violence privée dans laquelle le prophète est pris pour
arbitre, mais dans laquelle la parole du prophète s'oppose à la
révélation divine : "On raconte que ce passage fut révélé à propos de
l'un des Ançar (les médinois convertis à l'Islam) qui avait eu une
dispute avec sa femme et qui la gifla ; celle-ci alla se plaindre
auprès du Prophète qui décida spontanément en sa faveur l'application
de la peine compensatoire (qisa:s). C'est alors qu'Allah révéla : "les
hommes ont autorité sur les femmes…. Le prophète rappela l'homme en
question et lui récita le verset, puis il lui dit : J'ai voulu une
chose mais Allah en a décidé autrement." (Tabari III, 350) Le verset
est donc révélé pour déclarer l'époux maître de sa femme et suspendre
le châtiment décidé par le prophète à son encontre. Mais la possibilté
rapidement écartée par le verset n'est pas seulement le châtiment de
l'agresseur, elle est l'acte même de recourir à une instance tièrce,
qui aurait pu amener une différenciation des fonctions du mari et du
maître, du juge et de la partie – en l'occurrence une différenciation
des fonctions de gouverneur et d'oncle dans l'histoire de la
cavalière.



Au plan des statuts juridiques, c'est un fait que le droit musulman
ancien (fiqh) repose sur une pyramide sociale au sommet de laquelle il
y a l'homme, suivi de la femme, de l'esclave homme, de l'esclave
femme, puis de l'enfant et du dément. (Charfi, 155) La femme vaut à
peu près la moitié d'un homme : elle hérite la moitié de ce qu'hérite
un homme et le témoignage de deux femmes est équivalent à celui d'un
seul homme.

L'homme bénéficie du privilège de la polygamie et de la répudiation et
les femmes sont parfois privées de leur consentement au mariage. Il y
a même lieu de penser que l'esclave a une nature hybride puisqu'il
"participe de la chose et de la personne tout à la fois" (EI2, 'Abd),
et que la femme de condition libre participe de l'esclave et de la
personne libre à la fois. Non seulement un même principe de réduction
à la moitié des droits s'applique généralement aux femmes libres et
aux esclaves mâles, mais par l'acte de mariage, par le douaire que la
femme reçoit ou que son tuteur matrimonial reçoit du mari, elle est
soumise à une forme de droit de propriété (ma:likiyyat ghayr al-mal)
en faveur du mari. C'est pourquoi le grand théologien et juriste
Al–Ghazali (m.1111) considère que "le mariage est une forme
d'esclavage dans lequel la femme est esclave et doit obéissance totale
et don de soi, en quoi il n'y a pas désobéissance à Dieu …" Il reste
qu'en tant que personne libre, l'épouse n'est pas soumise aux
opérations juridiques qui découlent de l'esclavage total : vente,
donation, louage…



Monisme et binarisme

Le théophallocentrisme ne se contente pas de gérer la réalité des
corps masculins, féminins ou autres, et d'établir sa hiérarchie
statutaire, il déploie ses insignes sur toutes les activités
imaginaires et théoriques, en créant les paradigmes respectifs du
masculin et du féminin, et les mythes de différence sexuelle. La
formulation binaire de la création divine a permis aux anciens de
comparer Eve au rameau et Adam au tronc (asl, mot désignant aussi
l'origine), sachant que "le tronc est prééminent au rameau". (Ibn
Abi-Dhiaf, 68). Ce rameau, la femme, sera frappé d'une secondaréité et
d'une "inconsistance" ontologique renforcées par deux traits : le
mensonge et la ruse que le Coran attribue à la femme (dans la sourate
de Joseph notamment), l'ornement et l'artifice, qui font de cet "être
aux atours", une créature quelque peu phantasmagorique : il semble que
le prophète ait maudit "celles qui portent une "perruque"", "celles
qui se font du tatouage", "celles qui épilent leurs sourcils", "celles
qui liment leurs dents pour les parfaire", "dénaturant ainsi la
créature de Dieu". (Sahih Muslim, chap. du vêtement). Articulés à la
dualité fondamentale et fondatrice de la pensée métaphysique :
sensible/intelligible, les traits du mensonge et de l'ornement
doubleront le théophallocentrisme d'un "phallogocentrisme" qui, d'un
seul geste, et comme le montre Derrida à l'échelle de la pensée
occidentale, réprime l'écriture et le féminin, ou ce qui est pris
comme tel. Intelligible/ sensible peut se traduire par
lettre/(lafdh)/sens (ma'na), car les rhétoriciens et critiques arabes
pensaient que "la lettre est le corps et l'esprit le sens"(Ibn Rashiq
1/124), la lettre est l'enveloppe ou l'ornement qui "étale" le sens
dans "une belle expression". C'est là que nous trouvons une référence
au féminin, comme étant de l'ordre du sensible et de la lettre : on
compare les mots à "des esclaves bien parées", on parle des "signes
qui montrent leurs atours" (Al Jurjani2) et on met en garde les poètes
contre l'irrationnel et l'impossible (muha:l) qui les guette s'ils se
laissent égarer par le culte de la lettre, ou la passion des figures
de style auquels on attribuait une fonction ornementale. La dualité
principe actif-masculin/ réceptacle passif-passif, inspirée de la
philosophie grecque est manifeste dans un propos d'Avicenne (Ibn
Si:na) sur la substance première qu'il compare à "la femme laide",
être informe qui fuit le néant et désire inlassablement la forme.(2,
III, 6-7) Est donc féminin, tout ce qui empêche la manifestation de la
vérité et menace sa production, tout ce qui est inessentiel mais qui
peut menacer l'essentiel : l'ornement qui cache la réalité, la lettre
qui, en se déployant en écriture, cache le sens supposé transcendant,
le réceptacle qui risque de demeurer informe…. Bref, on retrouve là le
même schème du voile menaçant qu'il faut voiler ou limiter. De l'homme
à Dieu, comme de l'homme à la vérité le chemin doit obligatoirement
passer par l'élimination de la femme ou du féminin. .



Le mythe de différence sexuelle que construit ce théophallocentrisme
est un mythe de différence générique, mais de non-différence
biologique. Car Dieu a aussi créé l'Homme : "Hommes! Soyez pieux
envers votre Seigneur qui vous a créés (à partir) d'une personne
unique dont, pour elle, Il a créé une épouse et dont il a fait
proférer en grand nombre des hommes et des femmes!...(IV/1, Blachère
II/923-24) Cet énoncé de "la personne unique" est le signe d'un
monisme biologique qui n'est pas en contradiction avec le binarisme
générique. Il existe en effet dans l'espace culturel arabe un modèle
unisexe semblable à celui qu'à mis en évidence Thomas Laqueur en
Occident et qui a dominé toutes les conceptions du sexe et de la
relation hommes/femmes jusqu'au XVIIIe siècle. La langue et certaines
représentations du corps ont gardé la trace de ce modèle. On appelle
"farj", c'est-à-dire "creux, interstice entre deux choses", l'organe
sexuel de l'homme et de la femme; on appelle "vierge" l'homme qui
n'est pas encore marié tout comme la femme. "Khitan" signifie la
circoncision, mais également, "l'endroit de l'ablation par rapport au
mâle et à la femelle". Une symétrie est attestée entre le clitoris et
la verge, car le mâle non circoncis est appelé "clitoridien"
("abdhar", qualificatif dérivé de "badhr" : clitoris). De même le
prépuce, repli tegumentaire qu'on excise du pénis, s'applique-t-il
aussi à la femme. La femme partage avec l'homme la jouissance et son
"liquide-semence" était considéré comme "une condition de la
procréation", car " l'enfant ne naît pas du sperme de l'homme seul
mais de l'union des deux époux, soit de leur liquide réciproque, soit
du liquide du mâle et du sang des menstrues…Quoiqu'il en soit, le
liquide de la femme est une condition nécessaire de la procréation."
(Al Ghazali 2/58) Les textes médicaux inspirés par Galien, qui était
connu des Arabes, ont renforcé ce monisme biologique. On parlait du
"sexe renversé" qui, faute de chaleur vitale, n'a pas été propulsé
vers l'extérieur, et Al-Razi (Razès, m.1209) pensait que "les organes
génitaux chez la femme sont disposés à l'intérieur du ventre et sont
naturellement conditionnés par ce positionnement". (al Tifachi 230).



La suprématie de l'homme allant de soi, on se contentait souvent de la
tautologie qui consistait à justifier le principe d'autorité qui gère
la vie privée par l'inaptitude de la femmes à exercer les fonctions
publiques, mais on expliquait aussi cette inaptitude par le même
principe. Les exégètes faisaient également appel aux différences
quantitatives qui font de la femme un homme déficient : les femmes
étant "déficientes du point de vue de la raison et de la religion",
selon le hadith du prophète (Bukhari, chap. de la menstruation). Les
hommes sont forts et plus fermes parce qu'ils sont dominés par la
chaleur vitale et la raideur, tandis que les femmes sont faibles et
molles parce qu'elle sont dominées par la froideur et l'humidité,
selon ceux qui font appel au savoir "scientifique" de l'époque.
(Qurtubi, 2/1430)



A ce monisme ancien, semble succéder un binarisme qui vient peut-être
remédier à la confusion moderne des rôles et des genres. C'est ce qui
explique, pour partie, la disparition du concept de sexe, puisque
"farj" ne désigne plus que l'organe de la femme, qui assumera seule
désormais le manque-à-être humain. Dans les écrits
(néo)-fondamentalistes, c'est la composante binaire de la création
divine qui semble l'emporter sur la version de "la personne unique".
Ainsi s'ouvre la sourate de la Nuit : "Par la nuit quand elle s'étend!
par le jour quand il brille! Par ce qui a créé le Mâle et la
Femelle!... 92/1-2. (Blachère I/28-29) A la dualité temporelle du jour
et de la nuit se juxtapose la dualité sexuelle qui est ainsi rendue
non moins évidente. Sans se réfèrer explicitement à ce verset,
Sha'raoui, qui est un mufti contemporain des plus populaires en Egypte
et dans le monde arabe, opère le pas décisif en comparant cette
deuxième dualité à la première. L'analogie lui servira politiquement à
déligitimer le travail des femmes en dehors du foyer : " Dieu a crée
"deux genres" (naw') temporels pour leur assigner deux fonctions
différentes, comme il a crée deux genres humains différents pour leur
assigner deux tâches différentes." (II, 203 sqq) L'ancienne opposition
aristotélicienne actif/passif réapparait curieusement chez le même
Sha'raoui qui prétend pourtant s'appuyer sur la biologie moderne :
"Dans l'acte sexuel, l'homme joue le rôle actif parce qu'il éjacule
des spermatozoïdes qui facilitent la fécondité. Dans ce cas, il
fournit un grand effort et libère une grande énergie, en éjaculant ces
cellules reproductrices; par contre, le rôle de la femme est passif
car ses sécrétions durant l'acte sexuel ne sont pas reproductrices de
vie dans l'immédiat, mais servent seulement à lubrifier le sexe de
l'homme afin de faciliter la pénétration et de ne pas rencontrer
d'obstacle au moment de l'éjaculation(…) D'où le rôle positif de
l'homme et le rôle négatif ou moins positif de la femme." (I/19).



D'un système de pensée qui mariait monisme biologique et binarisme
générique, on est passé à un binarisme qui ontologise et "naturalise"
les différences entre les sexes. Mais ce binarisme n'est pas
l'exclusive du discours fondamentaliste ou néo-fondamentaliste. La
pensée féministe arabe a souvent basculé dans une sorte de
différencialisme sexuel présentant parfois des vélleités
culturalistes, et de ce fait, n'a pas formulé un véritable fondement
universaliste à sa revendication égalitaire. On a trop vite attaqué
Freud, en le comparant à Ghazali, en lui préférant ce grand théologien
misogyne (Mernissi, 24 sqq; Sa'daoui, 217,753), simplement parce que,
partant du monisme biologique ancien, il a déclaré que la femme est
active pendant l'acte sexuel et la conception. On a ignoré
l'arrière-fond universaliste du monisme freudien, ainsi que ses idées
sur la non-concordance de l'anatomique et du psychique et sur la
bisexualité psychique. Des écrits féministes tombent dans le même
piège de l'ontologisation des différences entre les sexes en évoquant
la "spécificité des femmes" et de l'écriture féminine. De la théorie
du gender elle-même peut sortir, à l'insu de tous, de nouvaux
"fétiches essentialisants" (Derrida, 43). Des sociologues ont pu
récemment parler de "politique se basant sur le gender" et même
d'"institutionnalisation du gender".



Dévoilement, revoilement

Pourtant, un processus d'historisisation et donc de relativisation des
différences entre les genres et des dispositions hiérarchisantes a été
ébauché par le mouvement moderniste arabe, en même temps qu'une
"réouverture des voies de la réflexion personnelle" (Ijtihad) et un
"dévoilement" des femmes. Au début du vingtième siècle le terme
"sufur" qui signifie : dévoilement du visage, était un mot magique, un
emblème qui symbolisait le progrès et l'ouverture et s'appliquait non
seulement aux femmes mais à toute la société. La revue qui s'appelait
Sufur et qui a vu le jour en Egypte en 1915 revendiquait ce projet
d'émancipation totale. (Ben Slama, www. elaph.com). Le tunisien Tahir
Haddad (mort en 1935) a réclamé dès 1930, l'égalité des sexes en
appelant à prêter plus d'attention aux "intentions éthiques de la
Shari'a" (maqasid) qu'aux dispositions du droit musulman, sacralisés à
tort. Il a dit clairement : "Le Coran a expressément ordonné dans de
nombreux versets de discriminer les hommes et les femmes. Ceci
n'empêche pas qu'il admet le principe de l'égalité sociale entre les
sexes, lorsque les conditions sont réunies et que l'époque le
nécessite, puisque son intention profonde est de viser à la justice
absolue, à l'esprit du droit suprême, car l'Islam est la religion qui
institue progressivement ses prescriptions en fonction des
nécessités".(Haddad 43)

Mais les mouvements fondamentalistes, qui se sont succédés dès les
années vingt se sont vite opposés au mouvement de libération des
femmes, en appelant celles-ci à se voiler doublement : à jouer leurs
rôles traditionnels de mères et d'épouses et à porter le voile,
désormais fétichisé. Entre le dévoilement et le revoilement des
femmes, s'est répandu le nouveau dogme de l'infaillibilité de la
Shari'a et de l'inamovibilité de ses dispositions, qui se fonde sur
l'interdiction de réinterpréter les textes jugés "clairs" et
"catégoriques". Exprimé ainsi : "l'Islam est valable pour tout temps
et en tout lieu", ce dogme produit et répand le refus de l'histoire,
le culte des dispositions du droit musulman et le désir maniaque de
rendre le corps féminin invisible et intouchable. Enseigné jusque dans
les écoles non coraniques, il est aujourd'hui orchestré par le régime
wahhabite saoudien, l'Université al-Azhar, l'Organisation du Congrès
Islamique, les chaînes satellitaires les plus populaires où
régulièrement des cheiks rappellent les interdits qui frappent les
femmes, les éditeurs qui remettent au goût du jour les textes des
sermonnaires hanbalites et qui diffusent à peu de frais une
littérature du mépris de la femme et de la culpabilisation de
celle-ci….Et il ne faut pas s'y tromper : le revoilement contemporain
n'est pas un simple retour du voile, une simple résurgeance des
dispositions du droit musulman. Depuis la révolution iranienne
notamment, c'est le modèle contradictoire de la femme voilée mais
active qui s'est propagé, de la femme qui portera les stigmates de
l'institution du Voile sans être recluse, qui apparaîtra tout en ayant
le corps barré, interdit. Aussi, le voile est-il, comme la castration
de Dalal, une tentative de marquage générique qui s'ajoute au marquage
idéologique. Une tentative de réorganiser les différences entre les
sexes et de revifier l'interdit qui frappait le corps féminin. Une
tentative aussi de désérotiser l'espace public, mais qui tourne à
l'échec et de la pire manière : c'est l'ombre des harems qui se trouve
ainsi projetée sur la Cité, et c'est réduction à la femelle montrant
ou ne montrant pas ses atours qui fera de la femme une "citoyyenne"
bien particulière.



Shari'a et schizophrénie

Le statut juridique de l'esclave a disparu, et sans trop faire de
bruit; les dispositions relevant du droit pénal, pourtant clairement
codifiées par le Coran, ne sont plus appliquées dans la majorité des
pays arabes. Mais pour l'essentiel, le statut de la femme reste
inchangé. La revendication des droits politiques et civils pour les
femmes butte encore sur le principe de l'autorité de l'homme sur la
femme et ses corollaires, comme sur la tradition du Prophète qui dit :
"jamais le peuple qui confie ses affaires à une femme ne connaîtra le
succès"(Sahih al-Bokhari, Chap. des Conquêtes; Al-Ghazali II, 65).
Dans des pays comme le Koweit ou Les Emirats du Golfe, les femmes ne
sont autorisées ni à se porter candidates ni à voter. Mais ces
conceptions marquent certainement le comportement électoral dans les
pays où les droits de vote et de candidature sont garantis, mais où le
taux de représentation des femmes dans les parlements est estimé à
5/100. En matière de droit privé, les législations arabes placent la
femme sous l'autorité du père ou du mari, n'interdisent pas la
polygamie, laissent généralement le mari décider du divorce,
n'attribuent pas la nationalité aux enfants nés du mariage d'une femme
avec un étranger, interdisent à la musulmane d'épouser un
non-musulman..etc Malgré la misère politique régnante, il existe bien
sûr des disparités entre les pays. En Tunisie, par exemple, le Code du
Statut Pesonnel paru en 1957, interdit la polygamie, accorde à la
femme le droit de divorcer sans invoquer de motif, remplace le devoir
d'obéissance au mari par " le bien-vivre ensemble" (husn
al-mu'a:shara) … bien que ce même code stipule que le "père est le
chef (ra'i:s) de la famille". De plus, le droit à l'avortement a été
reconnu dès juillet 1965. En Arabie Saoudite en revanche, le droit de
paraître et d'avoir un visage, le droit de conduire une voiture
peuvent être érigés en revendication politiques minimales. Mais d'une
manière générale, et par delà toute diversité et complexité, on
observe un peu partout un dualisme juridique : "le recours aux sources
islamiques lorsqu'il s'agit de légiférer pour la famille ou dans le
domaine du statut personnel, et, en même temps, l'abandon quasi-total
de ces sources lorsqu'il s'agit de codifier le droit civil, le droit
pénal, et, en général, toutes les autres branches du droit." (Chehata,
Ascha, 311) Ce qu'on appelle aujourd'hui la Shari'a, c'est en gros, le
droit personnel musulman, ultime garantie du maintien des rapports
traditionnels entre les genres. Autrement dit : l'infériorisation de
la femme, le contrôle de ses activités et de son corps.
L'anhistoricité est source de schizophrénie. D'une part ces
législations sont en contradiction avec la réalité sociale qui a vu
une augmentation sensible du nombre de femmes actives dans les pays
arabes, et plus encore de la proportion des femmes instruites, une
politisation accrue des mouvements de femmes. D'autre part elles
contredisent la majorité des Constitutions arabes qui reconnaissent
tacitement ou de manière expresse l'égalité entre les hommes et les
femmes. Cet état de schizophrénie est devenu une manière de traiter
avec les Conventions internationales : les 14 pays arabes qui ont
ratifié la "Convention pour l'élimination de toutes les formes de
discrimination à l'égard des femmes" ont, au nom de la Shari'a ou des
"spécificités culturelles", émis des réserves sur des clauses
importantes de cette convention. "La déclaration du Caire sur les
droits de l'homme en Islam", publiée le 8/8/1990 par l'Organisation de
la Conférence Islamique n'est ni plus ni moins qu'une annulation des
principaux droits et libertés inscrits dans la Déclaration de l'homme
au bénéfice de la Shari'a. Les articles 24 et 25 réitèrent que "la
Shari'a est la référence unique pour interpréter ou expliciter
n'importe quel article de ce document". Cette politique du double
discours constitue donc une base de repli commode.

Depuis la Conférence du Caire sur la population et le développement
(1994) le concept d'"égalité" a été remplacé par celui d'"équité",
pour répondre au souhait des pays arabes influents qui émettent, au
nom de la Shari'a, des doutes sur l'universalité des droits de la
femme et des réserves sur le principe d'égalité. La femme n'est pas
encore désincarcérée du corps de la Umma : au nom de la "spécificité"
de celle-ci, elle est maintenue dans son infériorité. Pareillement, au
nom de la sauvegarde et de l'épuration de la Umma, on traque les
homosexuels et on impose des identités de genre.



Raja Ben Slama- ("Le plein-genre", Paris, éd La Découverte, 2004.)



* Faculté de Lettres Mannouba, Tunis


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« Faut-il brûler les homos ? » : la Une homophobe de « Maroc Hebdo » Empty Re: « Faut-il brûler les homos ? » : la Une homophobe de « Maroc Hebdo »

Message par Mckay Sam 26 Mar - 22:08

Bon allez, c'est bon. Tu m'as gavé, je vais te soigner tes névroses.
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Message par Raptortriote Sam 26 Mar - 22:35

ganem a écrit:Le plein-genre Raja Ben Slama

On raconte qu'un des Califes umeyyades ordonna au gouverneur de Médine de "recenser" les chanteurs "efféminés" de la ville sainte.

Or, en arabe, seul un point diacritique sépare le verbe "recencer"(ahsi) du
verbe "châtrer" (akhsi). C'est ainsi que, par inadvertance, le gouverneur fit émasculer un bon nombre de chanteurs, parmi lesquels le surnommé Dalal. (Isfahani : VI, 266-297). Réputé "beau, courtois et éloquent", "Dalal-l'efféminé" était l'un des plus illustres musiciens médinois du VIIème siècle. "Efféminé" ne rend qu'approximativement l'arabe mukhannath, mot qu'il ne faut pas confondre avec Khuntha: :
hermaphrodite, quoique les deux vocables dérivent de la même racine
(kh-n-th) qui signifie globalement : se tordre, se tortiller, se
pencher… Un mukhannath est généralement un homosexuel "passif". Mais
Dalal se voulait à la fois passif et actif. Aimant aussi bien "ce qui
plaisait aux hommes et aux femmes", il était donc ce qu'on appelle
aujourd'hui un "bisexuel".



Loin d'être seulement "une anecdote plaisante, forgée pour mettre en
évidence les inconvénients de la graphie arabe..." (cf : Encyclopédie
de l'Islam2, Khasi, III, Cool, cette histoire de castration témoigne de
la violence dissuasive dont on pouvait faire usage pour traiter, ou
tenter de traiter les troubles du "gender", et gérer les paradigmes
souvent brouillés de la "normalité" et de "l'anormalité" . D'ailleurs,
le lapsus du gouverneur n'est nullement dénué de sens : "recencer" et
"châtrer" participent du même geste politiquo-identitaire qui tranche,
assigne des rôles et des identités fixes, distingue par des marques,
censure. Sans doute, Dalal troublait-il l'ordre moral en s'adonnant au
chant, au vin et à l'adultère, pratiques répréhensibles aux yeux des
censeurs de la ville sainte. Mais ce qu'il mettait surtout en péril, à
plus d'un titre, et qui le mettait en péril, c'était l'ordre des
évidences normatives et des hiérarchies statutaires qui soutiennent
toute société formellement bipolaire, et fortement andro-hétérocentré.
Il était un affranchi (mawla) qui rendait visite aux femmes de
condition libre, leur valait à la fois d'entremetteur et d'amant, et
affichait sa bi-sexualité. De là sans doute, l'arbitraire de son
châtiment qui ne correspond, juridiquement parlant, à aucune
disposition légale précise, mais qui répond sourdement à la logique de
la politique identitaire des genres : que soient émasculés les hommes
qui ne sont ni hommes ni femmes ; que soient exclus de l'ordre viril,
tous ceux qui sont indignes de leur identité de genre et de leur
statut d'hommes de condition non servile, tous ceux qui s'autorisent à
franchir la barrière séparant les hommes et les femmes de condition
libre, et que le Coran désigne par le terme hija:b : voile.



Des trous dans l'ordre sexuel

Dieu, dit le Coran , a créé l'Homme (insa:n), mais Il aussi créé "le
mâle et la femelle" séparément (49/13; 53/45; 75/39; 92/3). L'ordre
divin des genres est strictement binaire, il n'admet pas de troisième
genre. Commentant l'un de ces versets, un exégète rappelle que Dieu a
"limité la progéniture (d'Adam et Eve) à deux genres seulement ; il en
découle que l'hermaphrodite ne constitue pas un genre, car sa vérité
le rattache aux deux genres : celle de l'humanité (a:damiyya, relatif
à Adam), il est de ce fait ramené à l'un des deux genres (masculin ou
féminin)… selon que les organes lui sont en défaut ou en excès".
(Qurtubi : III/1315) Mais cette négation du troisième genre sera
constamment démentie ou mise à l'épreuve de l'expérience. Dans le
livre sacré lui-même, il est fait référence à deux catégories d'êtres
pouvant, chacune à sa manière, mettre à mal la dualité décrétée par
Dieu. L'eunuque, être que l'on essayait de "dé-sexualiser", et que
l'on fabriquait essentiellement à l'usage des harems, forme la
première. On pense que le Coran y fait allusion dans le verset (XXIV,
31) où il est dit que les femmes sont autorisées à montrer leurs
atours aux domestiques mâles "que n'habite pas le désir charnel".
L'éphèbe constitue la seconde : être paradisiaque, ni-femme ni-homme,
mais fortement sexué, il est l'un des objets de jouissance dont
disposeront les hommes croyants. En effet, bien qu'il condamne
fermement l'homosexualité masculine (liwa:t), le Coran promet aux bons
croyants d'être servis au Paradis par des éphèbes immortels (LVI, 17),
"qui sembleront perles cachées" (LII, 24), "perles détachées (LXXVI,
19). Même si en dernier ressort ces deux catégories consolident la
domination masculine en ce bas- monde comme dans l'au-delà, au coeur
même du Livre sacré s'ouvre déjà une brèche dans l'édifice théologique
de l'ordre sexuel binaire.



Dans la société des premiers siècles de l'Hégire, dans les écrits qui
s'en font largement l'écho, et où le rêve, le rire et le blasphème
sont à l'honneur, s'édifieront, en même temps qu'un espace social
sécularisé, une culture du pluriel et de l'équivoque, une tradition du
troisième genre que les idéologies modernes de la pureté et de
l'homogéneité originelles parviennent mal à occulter. Ainsi l'histoire
de Dalal, qui aurait dit à la suite de sa castration : "maintenant,
mon khunth est parfait". Dans ce substantif qualificatif de khunth, on
retrouve l'ambiguité de la racine (kh-n-th) qui renvoie aussi bien à
l'homosexualité masculine qu'à l'hermaphrodie. Dalal aurait ainsi
exprimé son désir d'appartenance au khunth, à un genre qui n'en est
pas un. La mutilation qui l'exclut de l'univers des hommes n'en fait
pas pour autant une femme; elle n'en fait pas non plus un eunuque, un
homme moins les attributs d'un homme, puisqu'il la transforme en un
accomplissement Sans vouloir lui prêter une conscience contemporaine
"queer", on peut dire qu'il se réapproprie constamment son corps,
construit sa propre vie et son désir en dehors des implications de sa
première identité de genre, comme en dehors du marquage politique par
lequel on a voulu en faire un castrat.



Et ce sont des catégories sociales entières qui, à l'instar de Dalal,
creusent des trous dans l'ordre bipolaire. La réalité des intersexuels
s'imposera aux docteurs de la Loi qui devront traiter du statut
juridique des hermaphrodites qualifiés de "problématiques" ou
"indéterminés" (khuntha: mushkil) Ils décréteront que ces personnes ne
sont pas aptes au mariage, qu'elles héritent de la moitié de la part
successorale de la femme et de la moitié de celle d'un homme. (Ibn
Juzay, 339) La rémanence du sexuel chez les eunuques est une autre
source de désordre générique et statutaire. Rien n'empêche ces
serviteurs, préposés surtout à la garde des femmes, d'avoir une vie
érotique très active (Jahidh1, I, 123 sqq). Ils sont mêmes plutôt
appréciés car ce sont des partenaires dont "l'érection est rapide et
l'éjaculation lente à venir", et avec lesquels les risques de
conception sont nuls. En témoigne le prologue des Mille et une nuit,
où le Sultan, horrifié, découvre le commerce sexuel de son épouse avec
son eunuque noir. Les juristes discuteront de leur aptitude à diriger
la prière, mais ils admettront qu'ils peuvent prendre des épouses.



Ce n'est pas le terme "mukhannath", relativement neutre ou teinté
d'humour, qui est utilisé par le Coran pour qualifier l'homosexualité
masculine, mais celui de liwa:t, dénominatif provenant de Lu:t,
traduction du prophète biblique Loth. Dans plusieurs versets (VII,
79-91; XXVII, 54-55; XXVI,165), le Coran dénonce ce vice et rappelle
le châtiment que Dieu a infligé au peuple de Loth pour s'y être
adonné. Se référant au verset VI,15 où il est dit : "A l'encontre de
celles de vos femmes qui commettent la Turpitude, requérez témoignage
de quatre d'entre vous! Si ceux-ci témoignent (de la chose), retenez
(ces femmes)dans (vos) demeures jusqu'à ce que la mort les rappelle
(au Seigneur) ou qu'Allah leur donne un moyen" (BlachèreII, 928),
certains exégètes ont donné le sens de saphisme au terme "turpitude"
(fa:hicha) et non le sens d'adultère ou de fornication. On en a déduit
que les lesbiennes étaient justiciables de l'assignation à résidence
jusqu'à la mort.



Il semble pourtant que ces orientations sexuelles étaient relativement
ouvertes et largement tolérées. De même que l'interdiction du vin n'a
pas empêché qu'on en boive et qu'on le célèbre dans la poésie,
l'interdiction de l'homosexualité n'a pas empêché ces amours illicites
et leur glorification. On n'attendait pas le Paradis pour savourer
l'amour des éphèbes. Des rois tel l'Aghlabide Ibrahim II et des
Califes abbassides tels al-Amin et al-Mu'tasim s'entouraient de
mignons. Des "garçonnes" (ghulamiyyat), jeunes femmes esclaves
travesties en éphèbes, revêtues d'habits masculins, répandaient des
phantasmes d'ambiguité dans les cours califales et les salons. On peut
parler d'un véritable tournant esthétique et érotique dans la culture
arabe qui, dès le VIIIe siècle, porte à la célébration de
l'homosexualié et des amours homo-sexuelles. Un genre poétique est
désormais consacré à l'amour des éphèbes. Des poètes comme Abu Nuas
faisaient l'éloge de l'impudeur, chantaient le vin, l'adultère et
l'homosexualité, tout en jouissant d'une large célebrité auprès de la
noblesse comme du petit peuple. Dans l'une de ses épîtres, Al-Jahiz
(m.869) met en scène un débat entre un amateur des femmes et un
amateur d'éphèbes. Ce dernier présente l'amour des femmes comme une
marque de bédouinité, c'est-à-dire de rusticité et d'austérité, tandis
que les plaisirs raffinés que procurent les éphèbes supposent un haut
degré de civilisation. (2, II, 116) Aux fameuses légendes d'amour
courtois hétérosexuel s'ajoutent des histoires d'amour homosexuelles
non moins prisées et pourvoyeuses de figures idéalisées auxquelles on
pouvait s'identifier. Qu’on se rapporte simplement au bibliographe Ibn
Nadim (m.1047), pour voir le nombre de titres de romans d'amour où
apparaissent alternativement des noms féminins et masculins; ou bien
au Collier de la Colombe de l'Andalou Ibn Hazm (m.1064) pour découvrir
les biographies des amoureux qui, tel le poète et grammairien Ahmed
ibn Kulayb, sont morts de chagrin pour un homme sans que leurs amours
ne suscitent mépris et condamnation. L'homosexualité passive ne semble
pas avoir inspiré le même dégoût que chez les Romains, et c'est en
employant les mots "amant" ('a:shiq) et "aimé" (ma'shu:q), termes
vagues et sans connotations sexuelles précises qu'on désignait, du
moins dans les biographies des amants, les deux partenaires
homosexuels. Toutes sortes de pratiques érotiques paraphiliques
entraînant un désordre sexuel et statutaire (telles celles où le
maître est sodomisé par ses esclaves mâles (Tifachi, 202)), trouvaient
leur place dans des traités d'érotologie aussi étalés dans le temps
que "Kita:b al-sahha:qat" (Livre des lesbiennes) de Saymari (IXe
siècle), Nuzhat al-alba:b (Agrément des esprits) de Tifachi (XIIIe
siècle), Al-Raoudh al-'a:tir (le Jardin Parfumé) de Nefzaoui (XVIe
siècle)…



Le Coran reste muet sur le châtiment prévu pour l'homosexualité
masculine. Les premiers califes ont, semble-t-il, appliqué la peine
capitale la plus implacable : les homosexuels étaient ensevelis sous
les décombres, lapidés ou précipités du haut d'un minaret. Les
Hanbalites, qui sont les juristes les plus sévères, ont opté pour la
mise à mort par lapidation ; la majorité des autres docteurs ont opté
pour la flagellation avec ou sans bannissement, suivant que le
coupable de condition libre est marié (muhsan), ou ne l'est pas. Mais
comme l'homosexualité n'aboutit ni à la conception ni "au mélange des
généalogies", les sentences ont évolué vers une peine discrétionnaire
peu sévère décidée par le juge. Pour Ibn Hazm, qui était aussi
juriste, le nombre de coups dont est passible un homosexuel peut être
réduit à 10 (Muhalla XI, 390) De plus, comme pour l'adultère, la
preuve du délit est difficile à administrer, puisque la loi exige la
présence de quatre témoins oculaires et irrécusables, ce qui rend la
sanction quasiment inapplicable. On s'explique mieux le caractère
parfois arbitraire et violent du châtiment, comme dans l'histoire de
Dalal : les autorités politiques décident de rétablir l'ordre, et de
mener des campagnes d'assainissement moral qui n'entraînent pas,
nécessairement, l'application de règles juridiques précises.



Mais ni les châtiments arbitraires, ni les sanctions des différentes
écoles juridiques, ni le moralisme des sermonnaires et des Hanbalites
n'ont eu raison de l'immoralité publique et de la culture du troisième
genre et du hors genre. Les Musulmans des premiers siècles de l'Hégire
ont ainsi pu inventer de larges zones de tolérance entre Loi et désir,
profitant, comme disent les poètes, des moments où les censeurs et les
gardiens du sacré sommeillaient. Dieu malgré tout, est clément et
miséricordieux, le péché est l'amorce du repentir, le repentir
l'envers du péché. On a pu émasculer Dalal, mais non éteindre ses
sarcasmes et ses chants.



L'effroi moderne

La morale sexuelle des Arabes modernes s'est progressivement assombrie
avec l'adoption des mécanismes disciplinaires et des modes
d'assujettissement élaborés par l'Etat occidental moderne, ainsi
qu'avec les vagues déferlantes d'"éveil islamique". La naissance du
mouvement wahhabite rigoriste en Arabie Saoudite au XVIIIe siècle et
la fondation, dans les années vingt du siècle précédent, du mouvement
égyptien des "Frères musulmans" sont les épisodes les plus marquants
de cet "éveil" qui se traduit notamment par le refus de la
sécularisation de l'espace social et par la fiction d'une pureté et
d'une homogénéité originelles. Aussi les prohibitions imposées par une
certaine modernité occidentale, à l'encontre de l'homosexualité
notamment, ont-ils confortés les interdits du droit musulman. Le
joyeux brouillage des genres des Anciens a fait place à l'horreur et à
la fureur sacrales.



La morale moderne a notamment suscité le raffermissement de la
bi-polarité sexuelle, l'occultation des ambiguités sexuelles dues à
des déficiences biologiques (intersexualité) et le refus de la
transsexualité. Alors que les anciens juges absolvaient
l'hermaphrodite et tentaient de lui accorder un statut légal, les
modernes confondent tout. En témoigne l'histoire de Samia, une
intersexuée tunisienne à qui on a attribué le nom masculin de "Sami"
et l'identité d'un homme, mais qui a eu recours à la chirurgie pour
mettre un terme à son ambiguïté biologique. Les magistrats, par un
arrêt de la cour d'appel de Tunis, daté du 22 Décembre 1993, ont
rejeté la requête introduite par Samia pour changer d'état civil.
Ayant argué que le Droit positif ne se prononce pas sur la question,
et rejeté la jurisprudence française qui accorde depuis 1992 la
liberté de changer son sexe, le juge a décidé de s'en remettre au
droit musulman, qui n'a pourtant jamais statué sur un cas de
transsexualisme. Au lieu d'assimiler Sami(a) à un hermaphrodite, on
l'a assimilée à un homosexuel, à un déviant qui "a modifié d'une façon
arbitraire et délibérée son sexe", transgressé l'ordre sacré, soit
l'ordre de la nature institué par Dieu. On a fait valoir le verset :
"Dieu sait ce que porte chaque femelle et la durée de la gestation.
Toute chose est mesurée par lui" (XIII, Cool. On a repris également un
hadith du prophète : "Dieu maudit les hommes qui veulent ressembler
aux femmes et les femmes qui veulent ressembler aux hommes." (Rdissi,
Abid)



L'homosexualité est aujourd'hui frappée d'illégalité dans bien des
pays arabes, passible de peine capitale en Arabie Saoudite, au Soudan,
au Yemen et en Mauritanie, de 14 ans de prison aux Emirats arabes
unis, 7 ans en Libye et 3 ans au Maroc.
Dans les pays où elle n'est pas explicitement interdite par la loi, on
n'épargne aux "fils de Loth" ni les arrestations ni les brimades.
Rappelons, à titre d'illustration, l'affaire des 52 hommes égyptiens
accusés d'homosexualité et arrêtés dans une boite de nuit le 11 mai
2001. Inculpés pour « violation des enseignements de la religion et
propagation d'idées dépravées et d'immoralité sexuelle », ils ont
comparu devant la Cour de sûreté de l'Etat et 23 d'entre eux ont été
condamnées à des peines de prison avec travaux forcés allant de trois
à cinq ans, sans possibilité de faire appel. Déchaînée, la presse
cairote a affirmé que ces "pervers" étaient des "adorateurs de Satan"
qui "entretien-nent des rapports avec des mouvements sionistes,
organisent des pélerinages gays en Israël et se livrent à des orgies
homosexuelles." (Kéfi, 66) Tout en se réclamant de la Shari'a, ils ont
ignoré les opinions plus clémentes des anciens juristes, oublié la
condition traditionnellement exigée pour l'administration de la preuve
du délit, à savoir la présence de quatre témoins oculaires au moment
de l'accomplissement de l'acte sexuel. Comme dans l'affaire de Samia,
on constate un même effacement des subtilités juridiques du passé,
effacement non compensé par une référence nouvelle aux droits de
l'homme. Face au délire de rejet et de diabolisation, les autorités
égyptiennes, ont préféré donner des gages aux activistes islamistes.
Quant aux associations égyptiennes des Droits de l'homme, elles ont
gardé le silence ou pris leurs distances à l'égard des inculpés .



Comme dans la littérature néo-fondamentaliste, on parle désormais de
"pervertis" ou "déviants" sexuels (shawa:dh). Alors que les Anciens
situaient l'homosexualité dans la nature et l'anatomie, évoquaient
l'homosexualité animale (Jahidh, III/204) considéraient le saphisme
comme "une envie naturelle", et attribuaient l'homosexualité à des
anomalies biologiques telles que la carence en chaleur chez les
hommes, l'atrophie de l'utérus (Tifachi, 170) ou la proéminence du
clitoris chez les femmes (Avicenne1, II, 1691), les Modernes, eux,
considèrent l'homosexualité comme un vice contre-nature dont même les
animaux sont exempts. (Jaziri V, 211) Et ce n'est pas la pathologie
psychiatrique ou psychanalytique qui est invoquée dans cette
"dé-naturalisation" de l'homosexualité, mais une démonologie, jointe à
un imaginaire identitaire de la Umma dont la purification appelle
l'éradication de l'Autre et de ceux qui entretiennent des rapports
avec lui : l'homosexuel tiendrait commerce avec le Diable ; il est le
représentant des agresseurs occidentaux ou israëliens. Les campagnes
menées contre les homosexuels seraient une sorte d'exorcisme politique
pratiqué, dans la terreur sacrale, sur le corps imaginaire de la Umma.
Et c'est parce que l'angoisse homosexuelle est trop pesante qu'on la
projette sur l'autre, c'est parce que cet autre diabolique est
extérieur–intérieur, haï-aimé qu'on veut l'extirper en hurlant au
sacrifice.



Il est évident que dans un contexte où sont frappés d'interdit non
seulement l'homosexualité mais tous les rapports sexuels
extra-conjugaux, où la liberté de disposer de son corps n'est pas
encore à l'ordre du jour des associations des droits de l'homme et des
mouvements de femmes, on ne peut espérer la formation de mouvements
arabes gays-lesbiennes ou plus généralement LGTB (Lesbiennes, gays,
transsexuels, bisexuels). Cependant, en terre d'exil, les "queers"
arabes commencent à s'organiser dans des associations telles que
"Sawasiya (égaux): Pour la défense des droits des homosexuels dans le
monde arabe" ou des réseaux tels que "Le collectif de lesbiennes
Nord-Africaines et arabes (ou de langues et de culture arabes) appelé
"Les N'DéeSses. Ces mouvements post-féministes ont trouvé sur le web
un espace de communication et d'expression culturelle multilingue, où
des liens se tissent entre queers vivants "en terre d'Islam" et "en
terre d'exil". C'est dans ces lieux virtuels que les exclus de l'ordre
"bipolaire-hétérosexuel" tentent de briser l'enfermement et d'agir
politiquement, tout en se réappropriant le langage et le souvenir de
la tradition arabe du hors-genre : on peut lire dans 2002 sehakia.org
: "Autant que possible, Sawasiyah va mettre un point d'honneur à
s'exprimer en arabe dans ses communications et ses publications, non
seulement pour fournir une preuve symbolique que l'homosexualité fait
partie de notre culture, et n'est pas qu'un "phénomène importé de
l'Occident", mais aussi parce qu'il s'agit du moyen le plus efficace
d'atteindre ces millions d'homosexuels de langue arabe ainsi que les
gens qui les soutiennent, et de les encourager dans leur combat
incessant pour la liberté et l'égalité."



La séduction-sédution (fitna)

Il existe en arabe un verbe pour signifier "enterrer quelqu'un vivant"
(wa'ada). Les femmes dans le monde arabo-musulman n'ont pas été
brûlées, comme les sorcières en Europe, et le Coran a aboli une
pratique préislamique qui consistait à enterrer les filles vivantes à
la naissance. Mais il y a tout lieu de penser que, réel ou symbolique,
l'enterrement guette toujours les femmes, soupçonnées non pas
exactement de sorcellerie, mais de "séduction-sédition" (fitna),
entendons : ce qui détourne de Dieu, et qui rend l'homme imperméable à
ses signes. C'est ce qui, en même temps apparente la femme au démon
qui, d'ailleurs, s'appelle "fatta:n" et qui "égare les hommes et les
berne de désirs".



Dans la constellation de récits qui forment l'histoire de Dalal, nous
relevons deux anecdotes mêlant le sort du libertin à celui des femmes,
et où chacun a son lot de répression. On raconte que Dalal fréquentait
deux femmes de la haute société omeyyade dont l'une était la nièce du
gouverneur de Médine, le fameux Marwan ibn al-Hakam (m.685). Ces deux
femmes réputées "des plus dévergondées, montaient à cheval et se
livraient à une course telle qu'elles découvraient les chaînettes qui
ornaient leurs chevilles". Le Calife Muawiya demanda au gouverneur de
châtier sa nièce. "Celui-ci invita la jeune femme chez lui, ordonna
qu'on creuse un puits sur le chemin qu'elle avait l'habitude
d'emprunter et le fit recouvrir de paille. La jeune fille y tomba et
le puit lui servit de tombe. On fit chercher Dalal, mais il s'enfuit à
la Mecque".



La deuxième anecdote a trait au comportement de Dalal lors de la
prière. "L'efféminé Dalal, priait à mes côtés à la mosquée. Il péta si
fort que tous les fidèles présents alentour l'entendirent. Nous
relevâmes aussitôt la tête tandis qu'il se prosternait toujours,
prononçant ces mots à voix haute : Gloire à Toi, par ma tête et par
mon postérieur! Tout le monde dans la mosquée fut séduit et les rires
qui fusèrent interrompirent les prières". Dans les deux récits,
s'articulent, à travers la question de la séduction, la gestion du
sacré et la politique identitaire des genres. Le corps émerge
pleinement dans son étrangeté, et déborde sur la scène sociale ou
socio-religieuse : ainsi le pet de Dalal au milieu de l'assistance en
prière, sa présence en tant que mukhannath dans les rangs des fidèles,
les chaînettes ornant les chevilles des jeunes cavalières qui vivent
leur féminité comme bon leur semble, en outrepassant la division de
l'espace social entre espace privé-fermé et espace public-ouvert. Dans
les deux cas, il y a "séduction-sédition", terme curieusement attribué
dans le récit du pet à Dalal. Entre l'homme et Dieu, s'interposent des
écrans : une femme ou un hors-genre. Mais tandis que la
séduction-sédition de Dalal déchaîne les rires, celle des femmes
déchaîne une violence punitive. La femme, "monstre pullulant de
signes" (Benslama, 61), est donc l'écran le plus opaque sur lequel on
doit dresser un "écran" qui "interdit" et "sépare", significations
auxquelles renvoie le terme hija:b : voile. Ce voile-écran serait une
étoffe, une porte fermée ou une tombe et c'est ce que dit à peu près
un hadith du Prophète : "mieux vaut pour la femme un mari ou une
tombe".(Ibn al-Jawzi, 133). On est plus prompt à sévir contre la
frivolité des femmes que contre l'indécence d'un homosexuel, plus
prompt à réprimer ceux qui troublent l'ordre des genres que ceux qui
mêlent le sacré au profane. Plus précisément, la ligne de démarcation
qui partage les femmes et les hommes nous semble plus nettement
déterminée que celle qui partage les genres et les hors-genre, le
sacré et le profane, la prière et le rire qui rompt la prière. Dalal,
on l'a vu, a franchi toutes ces lignes, mais les dangers qui le
guettent s'accroissent du fait de sa fréquentation de ces femmes,
qu'il peut être accusé d'avoir débauchées. Dans la répression ayant
trait à la politique des genres, certains sont donc plus opprimés que
d'autres, certains sont plus séducteurs-séditieux que d'autres. Dalal
a survécu à son châtiment et résisté à l'oppression, alors que le sort
de la jeune cavalière illustre bien celui de "l'enterrée vivante"
(maw'uda) : son corps, son souvenir et sa parole seront ensevelis.



Mais plus profondément, Dalal a subi le châtiment d'un gouverneur,
alors que le meurtrier de la jeune femme cumulait les fonctions de
gouverneur et d'oncle faisant figure de père. Celui-ci agissait,
simultanément, en protecteur de l'ordre moral de la Cité et de
l'honneur de la tribu. Une indifférenciation politique serait-elle à
l'oeuvre dans l'oppression et la discrimination des femmes,
l'oppression des femmes serait-elle à l'origine de la légitimation de
la violence? "L'ordre des ordres" s'organisait-t-il autour de la
réclusion des femmes? Comment ne pas voir les chevilles et les
chainettes de la cavalière miroiter dans ce verset : "Dis aux
croyantes de baisser leurs regards, d'être chastes, de ne montrer de
leurs atours que ce qui en paraît. Qu'elles rabattent leurs voiles sur
leurs gorges!...que [les Croyantes] ne frappent point [le sol] de
leurs pieds pour montrer les atours qu'elles cachent!..." (XXIV, 31,
Blachère : II,1009-10)?



Je ferai un saut dans le temps pour rappeller un événement qui me
parait comparable au récit de la jeune cavalière. Le 6 Novembre 1990,
un groupe de 47 femmes saoudiennes ont pris le volant de leurs
voitures, en signe de manifestation contre l'interdiction qui leur est
faite de conduire. Elles ont traversé l'avenue du roi Abdel Aziz, à
Riad, et refusé l'intervention des gardiens religieux des mœurs. Les
forces de l'ordre n'ont pas tardé à les arrêter pendant onze heures;
et elles les ont obligées à signer un engagement selon lequel elles ne
récidiveraient pas, sous peine d'en supporter les conséquences. On a
également obligé leurs pères et leurs époux à signer un engagement
semblable. Suite à cette manifestation, le Ministère de l'Intérieur a
officialisé l'interdiction, conformément à une fatwa prononcée par le
Cheikh Ibn Baz, autorité religieuse suprême du pays, et par d'autres
grands ulémas. L'argument essentiel est ici inspiré de la technique
juridique consistant à interdire le licite qui peut mener à l'illicite
("sadd adh-dhara:'i'), l'adultère étant, selon chez ces cheikhs,
l'issue fatale de la libre circulation des femmes en ville. Puis les
manifestantes, parmi lesquelles on comptait des universitaires, des
journalistes et des fonctionnaires, ont été licenciées. Les fatwas et
les déclarations dénonçant ces "scélérates qui montrent leurs atours"
se sont multipliées. Les langues qui s'étaient tues face au
débarquement des troupes américaines en Arabie Saoudite se sont
déliées pour maudire 47 femmes, considérées comme une menace pour
l'Islam et pour l'ordre social, dans un délire de rejet comparable à
celui suscité par les 52 égyptiens accusés d'homosexualité.



D'un siècle à l'autre, le véhicule a changé, mais il s'est agi cette
fois d'un geste collectif, politique et délibéré, embryon d'un
mouvement féministe qu'on a voulu faire avorter. Les arguments jetant
l'interdit sur les corps féminins et sur la circulation, sont restés
les mêmes. Le même verset XXIV, 31 qui a prévu le châtiment de la
cavalière servira, quatorze siècle plus tard, d'argument d'autorité
"sacrée" pour la condamnation des manifestantes saoudiennes, toujours
réduites à des femelles qui se pavanent et montrent leurs atours. De
quelles montages originaires procède donc cet ordre des ordres qui
commande encore le présent des femmes et des hommes arabes? Par quels
moyens s'est édifié l'infaillibilité et la transhistoricité de ce
qu'on appelle actuellement "la Shari'a"?





Dans les tableaux que nous brossons des rapports sexe/genre et des
rapports entre les genres, dans la déconstruction des agencement
"phallogocentriques" ou plus précisément "théophallocentriques" qui
structurent encore le sujet dans le contexte arabo-islamique, nous
éviterons, tout d'abord, de mettre de l'ordre en écartant la
complexité des faits, la dynamique sociale et les disparités entre les
pays arabes en matière de rapports entre les hommes et les femmes.
Puisque notre savoir est toujours "situé", nous préciserons,
négativement, les "situations" dont nous nous écartons, situations
identifiables dans les pratiques dicursives contemporaines. Nous nous
écarterons d'abord de la défense de "l'image du monde arabe à
l'étranger", qui se confond avec la défense de l'"identité" menacée
par la mondialisation et les nouvelles ambitions impérialistes.
"Améliorer l'image des Arabes à l'étranger" est en effet la tâche
assignée à l'intellectuel arabe par les gouvernements et les
organisations régionales qui leur sont affiliées. Nous refuserons tout
autant la stéréotypie cultaraliste qui développe la fiction d'une
nation arabo-islamique réfractaire à la démocracie, non désireuse de
liberté, celle orientaliste ou orientalisante, qui consiste à
emprisonner la réalité des femmes et des hommes arabes musulmans dans
une série de moules préconçus et de simplifications hasardeuses :
images de femmes voilées aveugles à la lumière du jour, cheiks
richissimes et polygames, mains coupées, corps lapidés ou à l'inverse
: images, propre à satisfaire tout le monde, d'un Orient enchanteur :
danses du ventre, encens, parfums, désert…Nous éviterons enfin de
céder à l'idéalisation utopique du passé des femmes arabes, à
l'illusion d'un Islam authentique qu'il suffit de retrouver, ou d'un
paradis féminin perdu dont il faut se souvenir, illusion que beaucoup
d'écrits réformistes ou féministes ne cessent d'entériner. A trop
vouloir ménager la susceptibilité des thuriféraires du sacré, on finit
par leur emboîter le pas, en adhérant à la même démarche idéalisante
et sacralisante. C'est dans la perte et le deuil salutaires, et non
dans la défense frileuse de "l'identité" et du passé qu'un renouveau
de la pensée et de la vie, voire même de l'expérience religieuse, peut
être amorcé.



A l'instar de la religion juive ou chrétienne, mais en suivant sa
propre voie, l'Islam a apporté un soutien théologique à la domination
masculine et patriarcale.

La démarche monothéiste qui consiste à "récupérer les qualités divines
du féminin maternel au profit d'un dieu créateur paternel"
(Transeuropéennes, 18) est illustrée dans le Coran par les versets qui
opposent Allah aux anciennes divnités féminines, importantes dans le
panthéon préislamique : "…Quiconque associe à Allah [des parèdres] est
dans un égarement infini. [Ces Associateurs] ne prient que des
femelles. Ils ne prient qu'un Démon rebelle." (IV, 116-117, Blachère
II, 957). Ce ravalement du féminin se traduit certes par "un passage
de l'évidence maternelle à l'inévidence du paternel" et une
valorisation de la fonction paternelle et donc symbolique. Mais on
constate dans le Coran une tendance à marquer l'évidence biologique du
père, ce qui entraîne un contrôle accru de la vie sexuelle des femmes
de condition libre, et un renforcement des liens de la parenté
biologique. En effet, le Coran impose une "retraite" déterminée
('Idda) à la femme répudiée ou veuve (II,234; LXV,1) pour que les
paternités ne se confondent pas. Il accorde au mari qui souçonne sa
femme d'adultère le droit de recourir à la procédure du "désaveu de
paternité" (li'a:n) (XXIV, 6). Il interdit l'adoption des enfants
(XXXIII, 4-5). Il renforce le régime du mariage reconnaissant à
l'homme son statut de "ba'l", c'est à-dire de maître et d'époux à la
fois, en interdisant notamment d'autres types de mariage que les
Arabes, semble-t-il, ont connu dans le passé, tel celui où les enfants
appartiennent à la tribu de la femme, ou celui qui annule clairement
la paternité biologique en ce sens que "l'homme ordonne à sa femme dès
qu'elle a fini de sa période de menstrues, d'aller chercher un autre
homme et de s'unir à lui pendant une période donnée, en se promettant
de ne pas la toucher jusqu'à ce qu'elle tombe enceinte de l'autre
homme…l'objectif étant d'améliorer la progéniture". (Lisan : b-dh-',
Mernissi 63-69)



Ce ravalement de la maternité et du féminin est rendu explicite par
les versets qui énoncent la suprématie ontologique, politique et
juridique de l'homme ainsi que "l'ascendant" ou la prééminence (fadhl)
que Dieu a donné aux hommes sur les femmes (II, 228). La suprématie
ontologique découle de la formulation binaire de l'acte de création
divine. Si Dieu a créé "le mâle et la femelle", on peut penser qu'Il a
créé le mâle avant la femelle, ou qu'Il a créé la femelle à partir du
mâle, puisque Eve a été tirée du corps d'Adam selon le mythe biblique
et coranique. La suprématie politique et juridique découle du principe
"d'autorité de l'homme sur les femmes" (qiwa:ma), lourd de conséquence
en matière de droit privé et de droit public. Il est clairement
annoncé dans le verset suivant, tiré de la sourate des Femmes, que
nous citons en entier, d'après la traduction la plus littérale, celle
de Blachère : "Les hommes ont autorité sur les femmes du fait qu'Allah
a préféré certains d'entre vous à certains d'autres, et du fait que
[les hommes] font dépense sur leurs biens [en faveur de leurs femmes].
Les [femmes] vertueuses font oraison (qanit:at) et protègent ce qui
doit l'être (?), du fait de ce qu'Allah consigne (?). Celles dont vous
craignez l'indocilité, admonestez-les! Reléguez-les dans les lieux où
elles couchent! Frappez-les! Si elles vous obéissent, ne cherchez plus
contre elles de voie [de contrainte]! Allah est auguste et grand."
(VI, 34, Blachère II, 935).



C'est ce verset qui institue l'obligation d'obéissance de l'épouse à
son mari et le droit du mari à instruire et punir sa femme. Mais c'est
aussi en s'y référant que les exégètes anciens ont stipulé que les
femmes, tout comme les hermaphrodites "problématiques", les esclaves
et d'autres catégories d'exclus, n'ont pas le droit d'exercer des
fonctions d'autorité dans le public et le privé (wila:ya:t). Cette
privation est consolidée par l'institution du Voile, qui, à l'époque
du prophète, ne signifiait pas seulement l'étoffe sur le corps
féminin, mais bien la division de l'espace social et la réclusion des
femmes de condition libre. La spacialité de la notion de Voile est
attestée dans le verset XXXIII, 53 qui impose cette institution aux
femmes du prophète, ainsi que dans les versets XXXIII, 32-33 qui
ordonnent à toutes les femmes de "demeurer dans leurs demeures" et de
ne plus montrer leurs atours.



Ce principe d'autorité qui impose l'obéissance des femmes aux hommes
n'entraîne pas simplement l'exclusion de celles-ci de la sphère
politique.

Il a son homologue dans la vie publique : l'obligation d'obéissance
aux gouverneurs (u🇱🇺-l-'amr), instituée par le Coran (VI, 59),
renforcée par le droit musulman qui ne prévoit pas d'institutions ou
de mécanismes de pouvoir limitant le pouvoir. Cette obligation
d'obéissance dans les deux sphères en miroir comporte une structure de
non-différenciation des fonctions, hostile à l'instauration de
tiercéités et à l'apparition d'une véritable scène politique. Les
"circonstances de la révélation" par lesquelles les exégètes
expliquent la révélation du verset VI, 34 illustre bien cette
structure "dé-politisante". On évoque à propos de ce verset, une
histoire de violence privée dans laquelle le prophète est pris pour
arbitre, mais dans laquelle la parole du prophète s'oppose à la
révélation divine : "On raconte que ce passage fut révélé à propos de
l'un des Ançar (les médinois convertis à l'Islam) qui avait eu une
dispute avec sa femme et qui la gifla ; celle-ci alla se plaindre
auprès du Prophète qui décida spontanément en sa faveur l'application
de la peine compensatoire (qisa:s). C'est alors qu'Allah révéla : "les
hommes ont autorité sur les femmes…. Le prophète rappela l'homme en
question et lui récita le verset, puis il lui dit : J'ai voulu une
chose mais Allah en a décidé autrement." (Tabari III, 350) Le verset
est donc révélé pour déclarer l'époux maître de sa femme et suspendre
le châtiment décidé par le prophète à son encontre. Mais la possibilté
rapidement écartée par le verset n'est pas seulement le châtiment de
l'agresseur, elle est l'acte même de recourir à une instance tièrce,
qui aurait pu amener une différenciation des fonctions du mari et du
maître, du juge et de la partie – en l'occurrence une différenciation
des fonctions de gouverneur et d'oncle dans l'histoire de la
cavalière.



Au plan des statuts juridiques, c'est un fait que le droit musulman
ancien (fiqh) repose sur une pyramide sociale au sommet de laquelle il
y a l'homme, suivi de la femme, de l'esclave homme, de l'esclave
femme, puis de l'enfant et du dément. (Charfi, 155) La femme vaut à
peu près la moitié d'un homme : elle hérite la moitié de ce qu'hérite
un homme et le témoignage de deux femmes est équivalent à celui d'un
seul homme.

L'homme bénéficie du privilège de la polygamie et de la répudiation et
les femmes sont parfois privées de leur consentement au mariage. Il y
a même lieu de penser que l'esclave a une nature hybride puisqu'il
"participe de la chose et de la personne tout à la fois" (EI2, 'Abd),
et que la femme de condition libre participe de l'esclave et de la
personne libre à la fois. Non seulement un même principe de réduction
à la moitié des droits s'applique généralement aux femmes libres et
aux esclaves mâles, mais par l'acte de mariage, par le douaire que la
femme reçoit ou que son tuteur matrimonial reçoit du mari, elle est
soumise à une forme de droit de propriété (ma:likiyyat ghayr al-mal)
en faveur du mari. C'est pourquoi le grand théologien et juriste
Al–Ghazali (m.1111) considère que "le mariage est une forme
d'esclavage dans lequel la femme est esclave et doit obéissance totale
et don de soi, en quoi il n'y a pas désobéissance à Dieu …" Il reste
qu'en tant que personne libre, l'épouse n'est pas soumise aux
opérations juridiques qui découlent de l'esclavage total : vente,
donation, louage…



Monisme et binarisme

Le théophallocentrisme ne se contente pas de gérer la réalité des
corps masculins, féminins ou autres, et d'établir sa hiérarchie
statutaire, il déploie ses insignes sur toutes les activités
imaginaires et théoriques, en créant les paradigmes respectifs du
masculin et du féminin, et les mythes de différence sexuelle. La
formulation binaire de la création divine a permis aux anciens de
comparer Eve au rameau et Adam au tronc (asl, mot désignant aussi
l'origine), sachant que "le tronc est prééminent au rameau". (Ibn
Abi-Dhiaf, 68). Ce rameau, la femme, sera frappé d'une secondaréité et
d'une "inconsistance" ontologique renforcées par deux traits : le
mensonge et la ruse que le Coran attribue à la femme (dans la sourate
de Joseph notamment), l'ornement et l'artifice, qui font de cet "être
aux atours", une créature quelque peu phantasmagorique : il semble que
le prophète ait maudit "celles qui portent une "perruque"", "celles
qui se font du tatouage", "celles qui épilent leurs sourcils", "celles
qui liment leurs dents pour les parfaire", "dénaturant ainsi la
créature de Dieu". (Sahih Muslim, chap. du vêtement). Articulés à la
dualité fondamentale et fondatrice de la pensée métaphysique :
sensible/intelligible, les traits du mensonge et de l'ornement
doubleront le théophallocentrisme d'un "phallogocentrisme" qui, d'un
seul geste, et comme le montre Derrida à l'échelle de la pensée
occidentale, réprime l'écriture et le féminin, ou ce qui est pris
comme tel. Intelligible/ sensible peut se traduire par
lettre/(lafdh)/sens (ma'na), car les rhétoriciens et critiques arabes
pensaient que "la lettre est le corps et l'esprit le sens"(Ibn Rashiq
1/124), la lettre est l'enveloppe ou l'ornement qui "étale" le sens
dans "une belle expression". C'est là que nous trouvons une référence
au féminin, comme étant de l'ordre du sensible et de la lettre : on
compare les mots à "des esclaves bien parées", on parle des "signes
qui montrent leurs atours" (Al Jurjani2) et on met en garde les poètes
contre l'irrationnel et l'impossible (muha:l) qui les guette s'ils se
laissent égarer par le culte de la lettre, ou la passion des figures
de style auquels on attribuait une fonction ornementale. La dualité
principe actif-masculin/ réceptacle passif-passif, inspirée de la
philosophie grecque est manifeste dans un propos d'Avicenne (Ibn
Si:na) sur la substance première qu'il compare à "la femme laide",
être informe qui fuit le néant et désire inlassablement la forme.(2,
III, 6-7) Est donc féminin, tout ce qui empêche la manifestation de la
vérité et menace sa production, tout ce qui est inessentiel mais qui
peut menacer l'essentiel : l'ornement qui cache la réalité, la lettre
qui, en se déployant en écriture, cache le sens supposé transcendant,
le réceptacle qui risque de demeurer informe…. Bref, on retrouve là le
même schème du voile menaçant qu'il faut voiler ou limiter. De l'homme
à Dieu, comme de l'homme à la vérité le chemin doit obligatoirement
passer par l'élimination de la femme ou du féminin. .



Le mythe de différence sexuelle que construit ce théophallocentrisme
est un mythe de différence générique, mais de non-différence
biologique. Car Dieu a aussi créé l'Homme : "Hommes! Soyez pieux
envers votre Seigneur qui vous a créés (à partir) d'une personne
unique dont, pour elle, Il a créé une épouse et dont il a fait
proférer en grand nombre des hommes et des femmes!...(IV/1, Blachère
II/923-24) Cet énoncé de "la personne unique" est le signe d'un
monisme biologique qui n'est pas en contradiction avec le binarisme
générique. Il existe en effet dans l'espace culturel arabe un modèle
unisexe semblable à celui qu'à mis en évidence Thomas Laqueur en
Occident et qui a dominé toutes les conceptions du sexe et de la
relation hommes/femmes jusqu'au XVIIIe siècle. La langue et certaines
représentations du corps ont gardé la trace de ce modèle. On appelle
"farj", c'est-à-dire "creux, interstice entre deux choses", l'organe
sexuel de l'homme et de la femme; on appelle "vierge" l'homme qui
n'est pas encore marié tout comme la femme. "Khitan" signifie la
circoncision, mais également, "l'endroit de l'ablation par rapport au
mâle et à la femelle". Une symétrie est attestée entre le clitoris et
la verge, car le mâle non circoncis est appelé "clitoridien"
("abdhar", qualificatif dérivé de "badhr" : clitoris). De même le
prépuce, repli tegumentaire qu'on excise du pénis, s'applique-t-il
aussi à la femme. La femme partage avec l'homme la jouissance et son
"liquide-semence" était considéré comme "une condition de la
procréation", car " l'enfant ne naît pas du sperme de l'homme seul
mais de l'union des deux époux, soit de leur liquide réciproque, soit
du liquide du mâle et du sang des menstrues…Quoiqu'il en soit, le
liquide de la femme est une condition nécessaire de la procréation."
(Al Ghazali 2/58) Les textes médicaux inspirés par Galien, qui était
connu des Arabes, ont renforcé ce monisme biologique. On parlait du
"sexe renversé" qui, faute de chaleur vitale, n'a pas été propulsé
vers l'extérieur, et Al-Razi (Razès, m.1209) pensait que "les organes
génitaux chez la femme sont disposés à l'intérieur du ventre et sont
naturellement conditionnés par ce positionnement". (al Tifachi 230).



La suprématie de l'homme allant de soi, on se contentait souvent de la
tautologie qui consistait à justifier le principe d'autorité qui gère
la vie privée par l'inaptitude de la femmes à exercer les fonctions
publiques, mais on expliquait aussi cette inaptitude par le même
principe. Les exégètes faisaient également appel aux différences
quantitatives qui font de la femme un homme déficient : les femmes
étant "déficientes du point de vue de la raison et de la religion",
selon le hadith du prophète (Bukhari, chap. de la menstruation). Les
hommes sont forts et plus fermes parce qu'ils sont dominés par la
chaleur vitale et la raideur, tandis que les femmes sont faibles et
molles parce qu'elle sont dominées par la froideur et l'humidité,
selon ceux qui font appel au savoir "scientifique" de l'époque.
(Qurtubi, 2/1430)



A ce monisme ancien, semble succéder un binarisme qui vient peut-être
remédier à la confusion moderne des rôles et des genres. C'est ce qui
explique, pour partie, la disparition du concept de sexe, puisque
"farj" ne désigne plus que l'organe de la femme, qui assumera seule
désormais le manque-à-être humain. Dans les écrits
(néo)-fondamentalistes, c'est la composante binaire de la création
divine qui semble l'emporter sur la version de "la personne unique".
Ainsi s'ouvre la sourate de la Nuit : "Par la nuit quand elle s'étend!
par le jour quand il brille! Par ce qui a créé le Mâle et la
Femelle!... 92/1-2. (Blachère I/28-29) A la dualité temporelle du jour
et de la nuit se juxtapose la dualité sexuelle qui est ainsi rendue
non moins évidente. Sans se réfèrer explicitement à ce verset,
Sha'raoui, qui est un mufti contemporain des plus populaires en Egypte
et dans le monde arabe, opère le pas décisif en comparant cette
deuxième dualité à la première. L'analogie lui servira politiquement à
déligitimer le travail des femmes en dehors du foyer : " Dieu a crée
"deux genres" (naw') temporels pour leur assigner deux fonctions
différentes, comme il a crée deux genres humains différents pour leur
assigner deux tâches différentes." (II, 203 sqq) L'ancienne opposition
aristotélicienne actif/passif réapparait curieusement chez le même
Sha'raoui qui prétend pourtant s'appuyer sur la biologie moderne :
"Dans l'acte sexuel, l'homme joue le rôle actif parce qu'il éjacule
des spermatozoïdes qui facilitent la fécondité. Dans ce cas, il
fournit un grand effort et libère une grande énergie, en éjaculant ces
cellules reproductrices; par contre, le rôle de la femme est passif
car ses sécrétions durant l'acte sexuel ne sont pas reproductrices de
vie dans l'immédiat, mais servent seulement à lubrifier le sexe de
l'homme afin de faciliter la pénétration et de ne pas rencontrer
d'obstacle au moment de l'éjaculation(…) D'où le rôle positif de
l'homme et le rôle négatif ou moins positif de la femme." (I/19).



D'un système de pensée qui mariait monisme biologique et binarisme
générique, on est passé à un binarisme qui ontologise et "naturalise"
les différences entre les sexes. Mais ce binarisme n'est pas
l'exclusive du discours fondamentaliste ou néo-fondamentaliste. La
pensée féministe arabe a souvent basculé dans une sorte de
différencialisme sexuel présentant parfois des vélleités
culturalistes, et de ce fait, n'a pas formulé un véritable fondement
universaliste à sa revendication égalitaire. On a trop vite attaqué
Freud, en le comparant à Ghazali, en lui préférant ce grand théologien
misogyne (Mernissi, 24 sqq; Sa'daoui, 217,753), simplement parce que,
partant du monisme biologique ancien, il a déclaré que la femme est
active pendant l'acte sexuel et la conception. On a ignoré
l'arrière-fond universaliste du monisme freudien, ainsi que ses idées
sur la non-concordance de l'anatomique et du psychique et sur la
bisexualité psychique. Des écrits féministes tombent dans le même
piège de l'ontologisation des différences entre les sexes en évoquant
la "spécificité des femmes" et de l'écriture féminine. De la théorie
du gender elle-même peut sortir, à l'insu de tous, de nouvaux
"fétiches essentialisants" (Derrida, 43). Des sociologues ont pu
récemment parler de "politique se basant sur le gender" et même
d'"institutionnalisation du gender".



Dévoilement, revoilement

Pourtant, un processus d'historisisation et donc de relativisation des
différences entre les genres et des dispositions hiérarchisantes a été
ébauché par le mouvement moderniste arabe, en même temps qu'une
"réouverture des voies de la réflexion personnelle" (Ijtihad) et un
"dévoilement" des femmes. Au début du vingtième siècle le terme
"sufur" qui signifie : dévoilement du visage, était un mot magique, un
emblème qui symbolisait le progrès et l'ouverture et s'appliquait non
seulement aux femmes mais à toute la société. La revue qui s'appelait
Sufur et qui a vu le jour en Egypte en 1915 revendiquait ce projet
d'émancipation totale. (Ben Slama, www. elaph.com). Le tunisien Tahir
Haddad (mort en 1935) a réclamé dès 1930, l'égalité des sexes en
appelant à prêter plus d'attention aux "intentions éthiques de la
Shari'a" (maqasid) qu'aux dispositions du droit musulman, sacralisés à
tort. Il a dit clairement : "Le Coran a expressément ordonné dans de
nombreux versets de discriminer les hommes et les femmes. Ceci
n'empêche pas qu'il admet le principe de l'égalité sociale entre les
sexes, lorsque les conditions sont réunies et que l'époque le
nécessite, puisque son intention profonde est de viser à la justice
absolue, à l'esprit du droit suprême, car l'Islam est la religion qui
institue progressivement ses prescriptions en fonction des
nécessités".(Haddad 43)

Mais les mouvements fondamentalistes, qui se sont succédés dès les
années vingt se sont vite opposés au mouvement de libération des
femmes, en appelant celles-ci à se voiler doublement : à jouer leurs
rôles traditionnels de mères et d'épouses et à porter le voile,
désormais fétichisé. Entre le dévoilement et le revoilement des
femmes, s'est répandu le nouveau dogme de l'infaillibilité de la
Shari'a et de l'inamovibilité de ses dispositions, qui se fonde sur
l'interdiction de réinterpréter les textes jugés "clairs" et
"catégoriques". Exprimé ainsi : "l'Islam est valable pour tout temps
et en tout lieu", ce dogme produit et répand le refus de l'histoire,
le culte des dispositions du droit musulman et le désir maniaque de
rendre le corps féminin invisible et intouchable. Enseigné jusque dans
les écoles non coraniques, il est aujourd'hui orchestré par le régime
wahhabite saoudien, l'Université al-Azhar, l'Organisation du Congrès
Islamique, les chaînes satellitaires les plus populaires où
régulièrement des cheiks rappellent les interdits qui frappent les
femmes, les éditeurs qui remettent au goût du jour les textes des
sermonnaires hanbalites et qui diffusent à peu de frais une
littérature du mépris de la femme et de la culpabilisation de
celle-ci….Et il ne faut pas s'y tromper : le revoilement contemporain
n'est pas un simple retour du voile, une simple résurgeance des
dispositions du droit musulman. Depuis la révolution iranienne
notamment, c'est le modèle contradictoire de la femme voilée mais
active qui s'est propagé, de la femme qui portera les stigmates de
l'institution du Voile sans être recluse, qui apparaîtra tout en ayant
le corps barré, interdit. Aussi, le voile est-il, comme la castration
de Dalal, une tentative de marquage générique qui s'ajoute au marquage
idéologique. Une tentative de réorganiser les différences entre les
sexes et de revifier l'interdit qui frappait le corps féminin. Une
tentative aussi de désérotiser l'espace public, mais qui tourne à
l'échec et de la pire manière : c'est l'ombre des harems qui se trouve
ainsi projetée sur la Cité, et c'est réduction à la femelle montrant
ou ne montrant pas ses atours qui fera de la femme une "citoyyenne"
bien particulière.



Shari'a et schizophrénie

Le statut juridique de l'esclave a disparu, et sans trop faire de
bruit; les dispositions relevant du droit pénal, pourtant clairement
codifiées par le Coran, ne sont plus appliquées dans la majorité des
pays arabes. Mais pour l'essentiel, le statut de la femme reste
inchangé. La revendication des droits politiques et civils pour les
femmes butte encore sur le principe de l'autorité de l'homme sur la
femme et ses corollaires, comme sur la tradition du Prophète qui dit :
"jamais le peuple qui confie ses affaires à une femme ne connaîtra le
succès"(Sahih al-Bokhari, Chap. des Conquêtes; Al-Ghazali II, 65).
Dans des pays comme le Koweit ou Les Emirats du Golfe, les femmes ne
sont autorisées ni à se porter candidates ni à voter. Mais ces
conceptions marquent certainement le comportement électoral dans les
pays où les droits de vote et de candidature sont garantis, mais où le
taux de représentation des femmes dans les parlements est estimé à
5/100. En matière de droit privé, les législations arabes placent la
femme sous l'autorité du père ou du mari, n'interdisent pas la
polygamie, laissent généralement le mari décider du divorce,
n'attribuent pas la nationalité aux enfants nés du mariage d'une femme
avec un étranger, interdisent à la musulmane d'épouser un
non-musulman..etc Malgré la misère politique régnante, il existe bien
sûr des disparités entre les pays. En Tunisie, par exemple, le Code du
Statut Pesonnel paru en 1957, interdit la polygamie, accorde à la
femme le droit de divorcer sans invoquer de motif, remplace le devoir
d'obéissance au mari par " le bien-vivre ensemble" (husn
al-mu'a:shara) … bien que ce même code stipule que le "père est le
chef (ra'i:s) de la famille". De plus, le droit à l'avortement a été
reconnu dès juillet 1965. En Arabie Saoudite en revanche, le droit de
paraître et d'avoir un visage, le droit de conduire une voiture
peuvent être érigés en revendication politiques minimales. Mais d'une
manière générale, et par delà toute diversité et complexité, on
observe un peu partout un dualisme juridique : "le recours aux sources
islamiques lorsqu'il s'agit de légiférer pour la famille ou dans le
domaine du statut personnel, et, en même temps, l'abandon quasi-total
de ces sources lorsqu'il s'agit de codifier le droit civil, le droit
pénal, et, en général, toutes les autres branches du droit." (Chehata,
Ascha, 311) Ce qu'on appelle aujourd'hui la Shari'a, c'est en gros, le
droit personnel musulman, ultime garantie du maintien des rapports
traditionnels entre les genres. Autrement dit : l'infériorisation de
la femme, le contrôle de ses activités et de son corps.
L'anhistoricité est source de schizophrénie. D'une part ces
législations sont en contradiction avec la réalité sociale qui a vu
une augmentation sensible du nombre de femmes actives dans les pays
arabes, et plus encore de la proportion des femmes instruites, une
politisation accrue des mouvements de femmes. D'autre part elles
contredisent la majorité des Constitutions arabes qui reconnaissent
tacitement ou de manière expresse l'égalité entre les hommes et les
femmes. Cet état de schizophrénie est devenu une manière de traiter
avec les Conventions internationales : les 14 pays arabes qui ont
ratifié la "Convention pour l'élimination de toutes les formes de
discrimination à l'égard des femmes" ont, au nom de la Shari'a ou des
"spécificités culturelles", émis des réserves sur des clauses
importantes de cette convention. "La déclaration du Caire sur les
droits de l'homme en Islam", publiée le 8/8/1990 par l'Organisation de
la Conférence Islamique n'est ni plus ni moins qu'une annulation des
principaux droits et libertés inscrits dans la Déclaration de l'homme
au bénéfice de la Shari'a. Les articles 24 et 25 réitèrent que "la
Shari'a est la référence unique pour interpréter ou expliciter
n'importe quel article de ce document". Cette politique du double
discours constitue donc une base de repli commode.

Depuis la Conférence du Caire sur la population et le développement
(1994) le concept d'"égalité" a été remplacé par celui d'"équité",
pour répondre au souhait des pays arabes influents qui émettent, au
nom de la Shari'a, des doutes sur l'universalité des droits de la
femme et des réserves sur le principe d'égalité. La femme n'est pas
encore désincarcérée du corps de la Umma : au nom de la "spécificité"
de celle-ci, elle est maintenue dans son infériorité. Pareillement, au
nom de la sauvegarde et de l'épuration de la Umma, on traque les
homosexuels et on impose des identités de genre.



Raja Ben Slama- ("Le plein-genre", Paris, éd La Découverte, 2004.)



* Faculté de Lettres Mannouba, Tunis

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« Faut-il brûler les homos ? » : la Une homophobe de « Maroc Hebdo » Empty Re: « Faut-il brûler les homos ? » : la Une homophobe de « Maroc Hebdo »

Message par Merl1 Sam 26 Mar - 22:40

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Message par Saint Crouton Éclairé Lun 28 Mar - 12:36

Y'en a des biens

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C'est l'homme à la face terreuse, au corps maigre, à l’œil de hiboux.
Au bras de fer à mains nerveuses, qui, sortant d'on ne sait pas où,
Toujours avec esprit vous raille, se riant de votre mépris.
C'est la canaille ! Eh bien, j'en suis !
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